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des plus honorables parures de la civilisation. Quant à ces institutions mêmes, ils savent trop bien que le plus grand malheur du Mexique a été l’incurable manie de les copier, sans aucune des conditions morales qui les rendent possibles aux États-Unis, pour chercher le salut de leur patrie dans la fusion avec un peuple qui ne peut lui donner autre chose que ses formes ou ses principes de gouvernement, mais qui n’enseignera pas aux Mexicains à en faire sortir de la liberté, de l’ordre et de la grandeur. Ce serait prendre un poison pour un remède, et les conservateurs savent distinguer l’un de l’autre. S’ils n’ont pas réussi à refaire du Mexique un état, un gouvernement, une organisation vivante, c’est à la profonde démoralisation produite par trente ans de révolution qu’il faut l’attribuer, aux intrigues ou à la propagande calculée ou non des principes américains, et enfin, pour tout dire, à ces défauts de caractère que les espagnols ont laissés aux Mexicains avec leur sang, et qui se sont aggravés par le mélange du sang indien.

Quoi qu’il en soit, ces bruits de protectorat des États-Unis ont porté un coup funeste au parti démocratique de Mexico. Aussi Alvarez et Comonfort se sont-ils hâtés de protester contre le sacrifice de l’indépendance nationale, tandis que dans la capitale les quelques officiers des troupes régulières qui maintiennent encore un fantôme d’armée sous le drapeau se serrent autour de l’ombre de leur patrie. Un seul des chefs de la révolution, celui auquel nous avons fait allusion plus haut, M. Vidaurri, qui domine les états du nord et s’y est créé une position à part, ne s’est pas encore prononcé, ou du moins son éloignement ne permet-il pas de suivre aussi bien ses mouvemens et de pressentir aussi exactement ses vues. Il est de tous le plus radical et fusille ses prisonniers. Il se distingue aussi par la haine implacable et systématique qu’il a vouée à l’armée régulière, dont il poursuit la dissolution avec acharnement. On ne saurait mieux jouer le jeu des États-Unis, et ce qui le prouve, c’est qu’à Mexico la légation américaine travaille ouvertement dans le même sens, en appuyant pour son compte et par des moyens à elle les mesures qu’Alvarez prend ou essaie de faire adopter avant d’y entrer pour désarmer ce qui reste de troupes et armer la populace. Ainsi tout conspire en faveur de l’ambition des Américains du Nord. Ce que ne fera point la politique du cabinet de Washington, l’imbécillité des démagogues mexicains l’accomplira, et l’indépendance du Mexique, n’étant plus défendue par aucune force organisée, sera à la merci d’une expédition de flibustiers. Mais que parlons-nous de dangers pour la nationalité mexicaine ? L’anniversaire de la déclaration d’indépendance n’a-t-il pas été célébré à Mexico le 15 septembre, sinon avec la pompe accoutumée, du moins pour suppléer à ce qui manquait d’éclat à la fête, avec un redoublement de déclamations furibondes contre l’Espagne et les Espagnols, et le général Gadsden ne s’est-il pas distingué au théâtre par les applaudissemens dont il couvrait, les passages les plus patriotiques des poésies débitées à cette occasion ? On voit donc que, si le Mexique n’a rien à craindre des États-Unis, il a tout à redouter de l’Espagne. ch. de mazade.

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V. de Mars.