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du repos qu’il va goûter après tant d’orages, le cardinal lui répond qu’on ne se peut promettre de repos en France, et que les femmes même y sont fort à craindre. « Vous autres Espagnols, lui dit-il, vous en parlez bien à votre aise, vos femmes ne se mêlent que de faire l’amour ; mais en France ce n’est pas de même, et nous en avons trois qui seraient capables de gouverner ou de bouleverser trois grands royaumes : la duchesse de Longueville, la princesse Palatine et la duchesse de Chevreuse[1]. »

Un mot d’abord de la beauté de Mme de Chevreuse, car cette beauté a fait une grande partie de sa destinée. Tous les témoignages contemporains s’accordent à la célébrer. Un portrait, à peu près de grandeur naturelle, que possède M. le duc de Luynes et qu’il a bien voulu nous laisser voir[2], lui donne une taille ravissante, le plus charmant visage, de grands yeux bleus, de fins et abondans cheveux d’un blond châtain, le plus beau sein, et dans toute sa personne un piquant mélange de délicatesse et de vivacité, de grâce et de passion. C’est bien là le caractère de la beauté de Mme de Chevreuse ; on le retrouve dans l’excellente gravure de Daret[3], que Harding a reproduite en Angleterre, et jusque dans le tableau de Ferdinand Elle[4], qui l’a peinte en veuve et déjà vieille. On sent encore en ce dernier portrait que la grande beauté a passé par là, et la finesse, la distinction, la vivacité et la grâce ont survécu.


I

Marie de Rohan, fille aînée d’Hercule de Rohan, duc de Montbazon, et de Madeleine de Lenoncourt, sa première femme, née en décembre 1600, épousa en 1617 cet audacieux favori de Louis XIII, qui, sur la foi de la mobile amitié d’un roi, osa entreprendre de renverser l’autorité de la reine-mère, Marie de Médicis, détruisit le maréchal d’Ancre, combattit à la fois les princes et les protestans, et commença contre Richelieu lui-même le système de Richelieu. Disons-le

  1. Vie de madame de Longueville, par Villefore, édition de 1739, IIe partie, p. 33. Mme de Motteville, t. Ier, p. 178 : « J’ai ouï dire à ceux qui l’ont connue particulièrement qu’il n’y a jamais eu personne qui ait si bien connu les intérêts de tous les princes et qui en parlât si bien, et même je l’ai entendu louer de sa capacité. »
  2. Ce portrait n’est pas un original ; c’est une copie, mais ancienne.
  3. Voyez la collection in-4o de Daret, dédiée à Mme de Chevreuse elle-même. Il y a un autre portrait gravé de Mme de Chevreuse, et fort rare, par Leblond, in-f°. Vingt-cinq à vingt-six ans. Ovale admirable, grands yeux, beau sein, cheveux frisés et crêpés du commencement de Louis XIII. Très belle personne, mais sans aucun charme, par l’effet d’un burin sec et vulgaire. Quant aux vilains petits portraits de Moncornet, ils n’ont aucun rapport avec Mme de Chevreuse à aucun âge.
  4. L’original de Ferdinand Elle est chez M. le duc de Luynes. Odieuvre l’a gravé dans l’Europe illustre.