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en passant : n’est-il pas indigne de l’histoire de rapporter l’élévation de Luynes à un caprice de roi, qui prend un de ses pages, un petit gentilhomme, pour en faire un premier ministre, parce qu’il le trouve habile dans l’art de dresser des faucons ? C’est là peut-être l’origine de la fortune de Luynes, ce n’en est pas le fondement. Ce petit gentilhomme, fils du capitaine de Luynes, comme on l’appelait, un des officiers les plus courageux et les plus intelligens d’Henri IV, était lui-même un homme d’esprit et de cœur, qui remit en honneur et maintint tant qu’il vécut, sous l’inspiration directe de Louis XIII, l’œuvre du grand roi, que Richelieu avait d’abord combattue en sa qualité de favori de Marie de Médicis, et que plus tard il reprit avec une grandeur incomparable, se tournant peu à peu contre ses anciens amis et sa première protectrice, au point de la faire exiler, précisément comme avait fait Luynes. Le jeune et ambitieux connétable était fait pour plaire au cœur hardi de la belle Marie, et elle l’aima très fidèlement[1]. Elle en eut une fille, morte sans alliance dans la plus haute dévotion, et un fils qui joua un certain rôle au XVIIe siècle par ses liaisons avec Port-Royal, traduisit en français les Méditations de Descartes, écrivit, sous le nom de M. de Laval, d’estimables livres de piété, et continua l’illustre maison.

La duchesse et connétable de Luynes, restée veuve en 1621, épousa en secondes noces, en 1622, Claude de Lorraine, duc de Chevreuse, un des fils de Henri de Guise, grand chambellan de France, dont le plus grand mérite était celui de son nom, accompagné de la bonne mine et de la vaillance qui ne pouvaient manquer à un prince de la maison de Lorraine, d’ailleurs sans nul ordre dans ses affaires, et bien peu édifiant dans ses mœurs, ce qui explique et atténue les torts de sa femme. De ce nouveau mariage vinrent trois filles : deux qui moururent en religion, et la troisième, la belle et célèbre Mme de Chevreuse, qui eut la faiblesse d’écouter Retz, à ce que Retz nous assure, et qu’en récompense il n’a pas oublié de peindre en caricature, pour divertir celle à laquelle il écrivait[2].

La nouvelle duchesse de Chevreuse avait été nommée, du temps de son premier mari, surintendante de la maison de la reine, et elle était bientôt devenue la favorite d’Anne d’Autriche, comme le connétable était le favori de Louis XIII. La cour était alors très brillante, et la galanterie à l’ordre du jour. Marie de Rohan était naturellement vive et hardie ; elle céda aux séductions du plaisir et de la jeunesse ; elle eut des amans, et ses amans la jetèrent dans la politique. Retz lui-même en convient dans ce passage, trop fameux pour que nous puissions

  1. Mme de Motteville, t. Ier, p. 2 : « La duchesse de Luynes étoit très bien avec son mari. »
  2. Tom. Ier de l’édition d’Amsterdam, 1731, p. 221.