Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/945

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

assiette d’esprit[1] : » portrait moins brillant, mais tout autrement sérieux et fidèle que celui de Retz, et qui pourrait bien être de la main même de Richelieu, étant assez vraisemblable que le cardinal, selon sa coutume, aura ici plutôt résumé à sa manière que reproduit textuellement les propositions de Montaigu. Quoi qu’il en soit, Richelieu, qui désirait vivement n’avoir plus sur les bras les Rohan, les protestans et l’Angleterre, afin de porter toutes ses forces contre l’Espagne, accepta la condition demandée, et Mme de Chevreuse revint à Dampierre.


II

Il y eut là quelques années de repos dans cette vie agitée. Marie de Rohan reparut à la cour dans toute sa beauté. Elle n’avait pas trente ans, et il était difficile de la voir impunément. Richelieu lui-même ne fut pas insensible à ses charmes[2] : il s’efforça de lui plaire, mais ses hommages ne furent point accueillis. Mme de Chevreuse préféra au tout-puissant cardinal un de ses ministres, celui sur lequel il avait le plus droit de compter : elle le lui enleva d’un regard, et le conquit au parti de la reine et des mécontens.

Charles de l’Aubépine, marquis de Châteauneuf, d’une vieille famille de conseillers et de secrétaires d’état, déjà chancelier des ordres du roi et gouverneur de Touraine, avait succédé on 1630 à Michel de Marillac dans le poste de garde des sceaux ; il le devait à la faveur de Richelieu et au dévouement qu’il lui avait montré. Il avait poussé ce dévouement bien loin, car il présida à Toulouse la commission qui jugea l’imprudent et infortuné Montmorency, et par là il mit à jamais contre lui les Montmorency et les Condé. Châteauneuf avait donc donné des gages sanglans à Richelieu, et ils semblaient inséparables. C’était un homme consommé dans les affaires, laborieux, actif, et doué de la qualité qui plaisait le plus au cardinal, la résolution ; mais il avait une ambition démesurée qu’il conserva jusqu’à la fin de sa vie, l’amour s’y joignant la rendit aveugle. On ne se peut empêcher de sourire quand on se rappelle ce que dit Retz, que Châteauneuf amusa Mme de Chevreuse avec les affaires ; cet amusement-là était d’une espèce toute particulière : on y jouait sa fortune et quelquefois sa tête, et l’intrigue où l’un et l’autre s’engagèrent était si téméraire, que pour cette fois nous admettons que ce ne fut pas Châteauneuf qui y jeta Mme de Chevreuse, et que c’est elle bien plutôt qui y poussa le garde des sceaux.

  1. Mémoires de Richelieu, t. IV, p. 74.
  2. Mme de Motteville, t. Ier, p. 62 : « Ce ministre, malgré la rigueur qu’il avoit eue pour elle, ne l’avoit jamais haïe ; sa beauté avoit eu des charmes pour lui, etc. »