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sous un air de pardon, on ne la noircît pas d’une faute qu’elle prétendait n’avoir pas commise. Elle refuse donc le 23 février 1639 l’abolition qui lui est envoyée, et demande des explications sur la manière dont il lui sera permis de vivre en France. Le cardinal, irrité de voir découvertes et éludées toutes ses feintes, s’emporte et laisse paraître le fond de sa pensée dans une lettre du 14 mars à l’abbé Dudorat, où il se plaint que Mme de Chevreuse ne veuille pas reconnaître ses négociations avec les étrangers, comme si, dit-il, « on avoit jamais vu de malade guérir d’un mal dont il ne veut pas qu’on le croye malade[1]. » Il n’entend pas non plus laisser Mme de Chevreuse séjourner à Dampierre plus de huit ou dix jours, et elle devra se retirer dans quelqu’une de ses terres éloignées de Paris. Il consent toutefois à modifier l’abolition royale qui avait déplu à Mme de Chevreuse, et il lui en envoie une autre un peu adoucie[2], comme une preuve extrême de sa condescendance et de la bonté du roi.

Cette déclaration nouvelle était encore bien loin d’être celle que désirait Mme de Chevreuse ; elle n’y était pas seulement absoute de sa sortie de France, mais « des autres fautes et crimes qu’elle avait pu commettre contre la fidélité qu’elle devait au roi, » et Richelieu revenait par un détour à son but, imposer indirectement au moins à la malheureuse exilée une sorte de confession de crimes qu’elle soutenait n’avoir pas commis, confession à la fois humiliante et dangereuse, et qui la mettait à sa merci. Cependant ici était le désir de la pauvre femme de revoir sa patrie et sa famille, qu’après avoir réclamé de nouveau et inutilement, elle se résigna à cette grâce suspecte. Elle fit plus ; Richelieu s’étant empressé de remettre à l’abbé Dudorat et à Boispille l’argent nécessaire pour acquitter les dettes qu’elle avait contractées en Angleterre, et lui permettre de sortir de cette cour comme il convenait à sa dignité et à son rang, elle consentit à laisser signer en son nom aux deux agens intermédiaires un écrit destiné à satisfaire Richelieu sans trop la compromettre, où, en termes très généraux, elle parlait humblement de sa mauvaise conduite passée[3], et s’engageait, pourvu qu’on la laissât vivre en toute liberté à Dampierre, à ne jamais venir secrètement à Paris. Elle avait dû vaincre bien des scrupules, étouffer bien des défiances, et faire céder ses secrets instincts aux sollicitations de sa famille, aux instances de l’abbé Dudorat et de Boispille, et à la parole solennelle que lui renouvela Richelieu dans une dernière lettre du 13 avril 1630.

Les choses en étaient là : la fière duchesse avait courbé la tête

  1. Manuscrits de Colbert, fo 18. L’original, de la main de Charpentier, est au Supplément français, no 4067.
  2. Ibid., fo 41 et aussi Supplément français, no 4067.
  3. Ibid., fo 21, et Supplément français, no 4067.