Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/972

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à subir des conditions pénibles et mal sûres, dans l’ardent désir de retrouver la patrie et le foyer domestique. Qui pourrait aussi la blâmer d’avoir hésité, sur des avis tels que ceux que nous venons de rapporter, à franchir le pas après lequel, si par malheur elle s’était trompée, il n’y avait plus pour elle que des regrets éternels et un désespoir sans ressource ?

Bientôt un autre conseil, qui lui était un ordre, l’enchaîna sur la terre étrangère. Celle pour qui depuis dix années elle avait tout souffert et tout bravé, son auguste amie, sa royale complice, Anne d’Autriche, lui fit dire de ne pas se fier aux apparences. Un jour à Saint-Germain, la reine, rencontrant M. de Chevreuse, lui demanda des nouvelles de la duchesse. Celui-ci répondit qu’il avait fort à se plaindre de sa majesté, qui seule empêchait sa femme de revenir. La reine lui dit qu’il avait grand tort de se plaindre d’elle, qu’elle aimait bien Mme de Chevreuse, qu’elle souhaitait bien de la revoir, mais qu’elle ne lui conseillerait jamais de rentrer en France[1]. Il parut à Mme de Chevreuse qu’Anne d’Autriche devait être bien informée, et elle se décida à suivre un avis parti de si haut. Elle ne toucha point à l’argent de Richelieu, et lui écrivit une dernière fois le 16 septembre, lui représentant ses incertitudes et ses embarras, et lui demandant du temps pour apaiser les inquiétudes qui travaillaient son esprit. Le même jour, elle annonce à son mari, à Dudorat et à Boispille, sa résolution définitive : « Je désire bien vivement, dit-elle à son mari, me voir en France en état de remédier à nos affaires, et de vivre doucement avec vous et mes enfans ; mais je commis tant de périls dans le parti d’y aller, comme je sais les choses, que je ne le puis prendre encore, sachant que je n’y puis servir à votre avantage ni au leur, si j’y suis dans la peine. Ainsi il me faut chercher avec patience quelque bon chemin qui enfin me mène là, avec le repos d’esprit que je ne puis encore trouver… J’ai appris des particularités très importantes dont je suis absolument innocente, ainsi que peut-être on le reconnaît à cette heure, et dont toutes les apparences montrent qu’on me voulait accuser. Je ne puis pas m’expliquer plus clairement sur cela. » — A l’abbé Dudorat : « Je m’étonne comme on me peut accuser de feindre des appréhensions imaginaires pour n’aller pas jouir des biens véritables, au lieu de me plaindre des peines où ma mauvaise fortune me réduit[2]. » — A Boispille : « Depuis votre départ, j’ai eu tant de nouvelles connoissances de la continuation de mon malheur dans les soupçons qu’il donne de moi, qu’il m’est impossible de me résoudre à

  1. Lettre de l’abbé Dudorat à Richelieu, Manuscrits de Colbert, f° 47, verso.
  2. Ibid., f° 53.