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pittoresque. On l’appelle la Porte des Ténèbres. Cette porte est un ancien arc de triomphe dont les ruines figurent admirablement dans le paysage. L’arc s’ouvre au fond d’un ravin dont la riche végétation contraste avec les pentes arides par lesquelles on y descend. Les arbres qui entourent la Porte des Ténèbres sont assez touffus pour éteindre en quelque sorte la clarté du soleil et ne laisser parvenir jusqu’aux vénérables arceaux que quelques pâles rayons. Du haut des collines qui encadrent le ravin, la vue s’étend sur la merde Syrie, dont les vagues mugissent à peu de distance, et sur les lignes bleuâtres de ses côtes. Le spectacle est magnifique, surtout pour des yeux qu’ont attristés jusque-là les ombres sinistres des premiers défilés du Djaour-Daghda,

Nous n’avions plus devant nous que quelques échelons à descendre pour atteindre le rivage de la mer. Bientôt nous eûmes échangé les sentiers rocailleux pour le sable fin et moelleux de la grève. L’air était vif, le ciel d’un bleu sans tache, légèrement doré vers l’orient. La mer n’avait pas une ride, et l’on pouvait distinguer les poissons qui se jouaient dans ses eaux limpides et calmes. Nos chevaux se plaisaient à courir sur le sol uni, à tremper leurs pieds dans l’écume de» vagues. Il semble que nos chevaux d’Europe soient muets, comparés au cheval arabe. Celui-ci a tout un langage qui se prête aux nuances les plus variées, soit qu’il salue par mille doux frémissemens la présence d’un maître aimé, soit qu’il appelle par des cris répétés la jument attardée dans la prairie voisine, ou qu’il provoque un rival à la lutte par de sauvages burlemens. En ce moment, nos chevaux exprimaient naïvement les impressions qu’éveillait en eux une belle nature. C’était plaisir que de les voir piaffer, souffler, respirer l’air par leurs naseaux vermeils, secouer leurs longues crinières et frissonner d’aise sous les caresses du vent de la mer. Nous partagions complètement, il faut le dire, la satisfaction de ces nobles bêtes, et les fatigues de six semaines de voyage venaient presque d’être oubliées en quelques minutes, lorsque nous fûmes arrachés à ces douces impressions par les sons d’une musique barbare qui se faisaient entendre à quelque distance. Le sifflement aigu de quelques fifres et chalumeaux se mêlait aux roulemens des tambours et aux coups sourds des grosses caisses. Bientôt parurent les musiciens. Ils précédaient une bande de montagnards en campagne, c’est-à-dire occupés à parcourir les grandes routes. Notre passage avait été annoncé aux guerriers nomades, qui venaient nous souhaiter un heureux voyage, et nous inviter même à prendre quelques rafraîchissemens avec eux. Il y aurait eu mauvaise grâce à refuser. Mettre pied à terre, confier la garde de nos chevaux à ces hôtes empressés, nous asseoir sur l’herbe, étaler nos provisions à côté de