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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/1049

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et lorsqu’il daigne s’adresser à l’une de ses compagnes, celle-ci rougit, baisse les yeux, sourit et répond à voix basse comme si elle craignait de faire cesser le prestige et de s’éveiller d’un rêve trop doux pour qu’il puisse durer longtemps. Tout cela n’est qu’une comédie dont personne n’est la dupe, pas plus qu’on ne l’est chez nous des airs d’innocence et de timidité d’une pensionnaire. Au fond, toutes ces femmes ont peu de sympathie pour leur seigneur et maître. Ces femmes si aisément et si doucement émues, dont la voix n’est qu’un faible murmure, s’adressent les unes aux autres de fort gros mots sur un diapason aigu et criard, et il n’y a guère d’extrémité à laquelle elles ne puissent se porter contre celle d’entre elles qui jouit de la faveur du sultan. Les esclaves favorites seraient fort à plaindre, si elles ne se permettaient des représailles; mais elles n’ont garde de se les interdire.

Ce qui est pour moi plus révoltant que tout le reste, et c’est beaucoup dire, c’est le harem en miniature des enfans de grande maison. Ces enfans, des petits garçons de neuf à douze ans, possèdent de petites esclaves de leur âge ou à peu près avec lesquelles ils parodient les façons de leurs pères. Ces jeunes victimes d’une constitution sociale véritablement monstrueuse font là un horrible apprentissage de la vie qui leur est réservée, car rien n’est plus cruel qu’un enfant mal élevé, et la barbare dépravation du vieillard débauché se retrouve à l’autre extrémité de la vie. J’ai vu de ces enfans, de ces pachas embryonnaires, battre à coups de pieds et à coups de poings, égratigner, blesser tout un troupeau de petites filles qui osaient à peine pleurer, tandis que le jeune tigre se pourléchait les lèvres et souriait d’un étrange sourire qui me rappelait certaines pages de Pétrone. Cependant, je le répète encore, personne n’est plus étranger à d’aussi odieux sentimens que le Turc tel que la nature l’a fait. Il y a plus, cet enfant cruel deviendra vraisemblablement un assez bon homme, lorsqu’il sera d’âge à jouer sans trop d’effort le rôle qui l’écrase aujourd’hui.

Les grandes dames de Constantinople ne se contentent pas de voir le monde à travers les grillages de leurs fenêtres; elles vont se promener dans la ville, dans les bazars, partout où il leur plaît et sans être soumises à aucune surveillance incommode. Les femmes vénitiennes jouissaient jadis, grâce à leur masque, d’une excessive liberté; le voile des femmes turques rend à celles-ci le même service. Le mari le plus jaloux passerait auprès de son épouse en bonne fortune sans se douter de son malheur, car non-seulement le voile couvre le visage, non-seulement le ferradjah (sorte de manteau) couvre toute la personne et lui donne l’air d’un paquet, mais voiles et ferradjah sont tous de même étoffe, de même forme et presque de