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De tous les contemporains qui ont figuré avec éclat dans ces grandes discussions parlementaires, décoration splendide d’édifices aujourd’hui écroulés, M. Berryer est un de ceux qui ont le mieux mérité le nom de guerrier civil, de politique armé, dont parlait l’autre jour M. de Salvandy, — politique armé de toute la puissance de la parole. Ce n’est ni un écrivain » ni un philosophe, ni un orateur savamment nourri : c’est la personnification la plus saisissante de l’éloquence humaine agitant et remuant une assemblée délibérante. Tout a servi M. Berryer dans son rôle durant vingt ans, et la fierté de son geste, et son accent pénétrant, et son entraînement communicatif, et même cette situation particulière qui lui laissait toutes les libertés, toutes les franchises de l’opposition, sans le soumettre à aucune de ces considérations que le pouvoir impose. Sachant s’affranchir au besoin des périlleuses solidarités de parti, nul n’a mieux su faire vibrer ces cordes qui frémissent dans toutes les âmes. Ce sont tous ces dons éclatans de la parole, toutes ces qualités de l’orateur qui marquaient naturellement la place de M. Berryer à l’Académie. C’est là sa grandeur, et c’est là aussi sa faiblesse. M. Berryer parlait l’autre jour de lui-même avec une modestie simple et digne, en homme qui sentait cette faiblesse. Pour expliquer son long silence, il aurait dit, assure-t-on, avec une spirituelle bonne grâce, qu’il savait bien parler, mais qu’il ne savait ni lire ni écrire. Cette différence entre l’écrivain et l’orateur, M. Berryer la marquait avec une sorte de noble regret dans son discours, en montrant le premier se survivant par ses œuvres, le second disparaissant avec le théâtre de ses triomphes, ou à mesure que les forces de la vie le délaissent. C’est qu’en effet, quelque puissance intellectuelle qu’il y ait dans la parole humaine, bien que Démosthène soit inséparable de Platon, de Sophocle, de Phidias, ainsi que l’a rappelé M. de Salvandy, il n’est pas moins vrai qu’il y a pour l’orateur des conditions spéciales : il lui faut son théâtre préféré, l’exaltation du moment, la résistance ou la sympathie d’un auditoire dompté, toutes les excitations de la lutte. Sans cela, sa parole risque souvent d’être non pas embarrassée, mais dépaysée peut-être dans des considérations développées avec art au milieu d’un auditoire paisible et élégant.

Comment M. Berryer allait-Il parler et subir cette épreuve nouvelle du discours académique ? Comment M. de Salvandy lui répondrait-il ? Là était l’intérêt de la dernière séance. L’éloge d’un homme regretté, de M. de Saint-Priest, était un terrain commun où pouvaient se retrouver les deux orateurs. M. de Saint-Priest était un homme d’une grande naissance et d’un grand esprit. Par ses traditions, il tenait à l’ancienne société, et par son intelligence il appartenait au monde nouveau. Attaché à la monarchie de 4830, il n’avait point à l’heure suprême varié à tous les souffles de la fortune. M. de Saint-Priest avait écrit des œuvres remarquables telles que l’Histoire de la Conquête de Naples. Traditions anciennes, distinctions sociales, qualités rares de l’esprit, convictions politiques fidèles, n’étaient-ce point là pour M. Berryer et M. de Salvandy autant de points de contact, sans oublier ceux que les deux orateurs ont su y joindre ? Il est difficile en effet de parcourir un plus vaste cadre, depuis l’empire romain Jusqu’à la compagnie de Jésus,