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depuis saint Louis jusqu’à Louis XV et au xviiie siècle. Il est resté, il nous semble, une impression générale de cette séance : c’est qu’elle avait été trop attendue pour qu’on ne fût pas tenté de lui demander plus qu’elle ne pouvait donner ; c’est que, contrairement à la spirituelle calomnie qu’il a dirigée contre lui-même, M. Berryer sait à coup sûr lire et écrire, mais qu’il est encore plus un orateur puissant quand il n’est point à l’Institut ; c’est qu’enfin l’Académie ne saurait oublier que la politique est une exception pour elle, et que le vrai, le meilleur titre dans une société littéraire est encore le génie du poète, la grâce de l’inspiration, la fermeté savante de l’historien, en un mot la supériorité de l’esprit se manifestant sous les formes naturelles de la littérature et de l’art.

De toutes ces formes de la pensée, l’histoire est sans nul doute celle qui attire toujours les intelligences sérieuses. Outre cet intérêt saisissant qu’offre le spectacle des générations qui se sont succédé, des différentes phases de la civilisation humaine, des peuples qui ont grandi et disparu, des luttes et des conquêtes incessantes qui ont marqué chaque siècle, il y a parfois cet attrait singulier d’une époque où l’on voit comme le germe de questions qui iront en se transformant et qui sont encore l’obsession du monde. Les analogies et les contrastes du temps, des choses, des hommes, éclatent à la fois. En écrivant son livre sur Scanderbeg ou Turcs et Chrétiens au quinzième siècle, M. Camille Paganel a cédé peut-être à un attrait de ce genre, et il le fait partager. Le choc du monde chrétien et du monde musulman, l’indifférence de l’Occident, tandis que le dernier empereur grec s’ensevelit à Constantinople dans son héroïsme et son impuissance, le fanatisme violent de Mahomet II méditant partout ses conquêtes, l’invincible et redoutable courage d’un homme, de Scanderbeg, qui pendant plus de vingt ans, dans les montagnes de l’Albanie, résiste à l’invasion turque et fait reculer les armées des sultans, les mœurs féodales et rudes de ces terribles ancêtres de la nationalité grecque, ce sont là les traits qui revivent dans le livre de M. Paganel. En définitive, au moment où Scanderbeg, le terrible chef épirote, se retire dans l’Albanie et entreprend une lutte héroïque contre la domination turque, qui gagne peu à peu toutes ces contrées, de quoi s’agit-il ? Il s’agit de savoir à qui sera Constantinople, qui sera le maître de cette situation merveilleuse où se réunissent tous les souvenirs de l’antiquité et tous les élémens de puissance politique. C’est la même question qui se débat après quatre siècles encore. Seulement tout est changé, ce n’est plus Mahomet II qui menace Constantinople, ce n’est plus le fanatisme turc qui lève son drapeau contre l’Occident ; c’est la Russie qui depuis un siècle a marché chaque jour vers ce point où l’attirent tous ses instincts de conquête, c’est la Russie qui s’efforce pas à pas d’enlacer ces contrées de l’Orient. Et, par une analogie de plus, elle a trouvé, elle aussi, son Scanderbeg dans le Caucase. À vrai dire, ces résistances d’une nationalité, d’un homme luttant pour son indépendance, pour sa foi, sont un des spectacles les plus émouvans de l’histoire. Elles sont une protestation contre la force, et quand l’homme est un Scanderbeg, il devient un de ces rares héros d’une originalité étrange et simple à la fois qui résument les plus viriles grandeurs de l’âme humaine. Nous ne faisons que dégager ici