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Le climat avait cessé d’être un auxiliaire pour les Arabes. Nos troupes, mieux organisées, plus endurcies, bravaient maintenant la grande chaleur comme les intempéries. C’étaient toujours les zouaves qui apprenaient aux nouveau-venus à tout supporter gaiement. Ceux qui dans une même campagne les avaient vus, au mois de mars, marcher six semaines dans les boues et dans les neiges du Jurjura, souvent sans autre chaussure que des fragmens de peau de bœuf retenus par des ficelles, souvent sans autres vivres que le blé des silos, réveiller par leurs chants une brigade que le froid avait engourdie, et qui laissait dix-sept hommes morts sous la neige ; — Puis le lendemain, la grêle les fouettant au visage, aborder à la baïonnette les positions des Kabyles, — et qui deux mois plus tard les revoyaient, après une marche de trente lieues franchies en trente-six heures, sans eau, par le vent du désert, marche si dure que le sang colorait leurs guêtres blanches, défiler devant le bivouac des chasseurs d’Afrique en sifflant les fanfares de la cavalerie, comme pour railler les chevaux fatigués et se venger de ce que leurs rivaux de gloire avaient chargé et battu l’ennemi sans eux; — ceux qui avaient eu le bonheur de les voir ainsi à l’œuvre, toujours braves, toujours prêts, toujours soumis, ceux-là se disaient tout bas (car les zouaves n’avaient encore battu que les Arabes), mais avec une conviction profonde, ces paroles que toute l’Europe répète aujourd’hui : Ce sont les premiers soldats du monde!

Et nous ne voulons pas dire que nul corps de notre infanterie ait à recevoir de personne des leçons de courage : nous pourrions citer plus d’un régiment, plus d’un bataillon dont le numéro avait acquis en Afrique une réputation presque égale à celle des zouaves, et qui avait tout leur savoir-faire, soit pour le combat, soit pour la vie de bivouac; mais il fallait toujours quelque temps d’apprentissage pour qu’un régiment fût rompu à tous les détails de la guerre et du métier. Puis, lorsqu’il était bien formé, lorsque parmi les généraux c’était à qui l’aurait sous ses ordres, son tour venait de rentrer en France; il faisait place à d’autres plus novices et qui avaient besoin de s’aguerrir. Seuls, les zouaves étaient toujours là; en eux se personnifiait en quelque sorte la tradition de l’armée d’Afrique. Un régiment pouvait-il citer cinq, dix affaires brillantes, — les zouaves répondaient par vingt ou trente. Leurs cadres, renouvelés par la mort et par l’avancement, étaient toujours alertes; un officier se fatiguait-il, il trouvait facilement à permuter; de parfaites traditions de service se conservaient parmi les sous-officiers. Sans privilèges, sans modifications à la loi de recrutement, le contingent annuel se trouvait formé de telle sorte que le corps n’avait presque jamais de conscrits à instruire, et se recrutait sans cesse de vieux soldats. Les officiers supérieurs étaient choisis avec un soin tout particulier. C’étaient le plus souvent des