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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/119

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de l’enfer dans lequel il a été précipité ?… Vous pouvez trouver une autre voiture pour vous ramener à Philadelphie.

Toutefois je ne voulus pas le laisser, et je le décidai, non sans beaucoup de peine, à m’accompagner à New-York, où je promis de lui trouver une occupation mieux en harmonie avec son éducation et ses talens naturels.

— Je ne puis m’appliquer à rien, me dit-il pendant le voyage ; je ne suis bon à rien. Il y a des années déjà que je n’ai pas ouvert un livre et touché une plume. L’eau-de-vie est ma consolation, c’est mon seul ami, et lorsque ses fumées obscurcissent mon cerveau, alors j’oublie complètement ma misère.

Nous arrivâmes à New-York, et à sa demande je cachai sa présence dans cette ville, même aux membres de ma propre famille. Une fièvre, provoquée par ses intempérances, le saisit à son arrivée, et après son rétablissement je lui procurai une place de commis dans une boutique. Pendant quelques semaines, il se conduisit aussi bien qu’on pouvait le désirer ; mais ses vices faisaient maintenant partie de sa constitution. Ses habitudes de dépenses, qui n’avaient jamais été que des péchés contre lui-même, avaient pris maintenant une telle puissance, qu’il ne se faisait plus scrupule d’avoir recours au crime pour les satisfaire.

Il était depuis six semaines dans sa nouvelle place, lorsqu’un soir mon domestique entra dans ma chambre en me disant : — Une personnde désire voir monsieur en particulier.

— Quelle est-elle ?

— C’est un homme qui n’a pas voulu dire son nom et semble très agité. Je pense qu’il est ivre ou fou.

J’ordonnai au domestique de faire entrer le visiteur, qui n’était autre qu’Edouard Marsden, en état d’ivresse et en proie à une extrême agitation.

— Eh bien ! James, me dit-il aussitôt que la porte fut fermée, voilà de quelle manière je paie votre sollicitude pour moi. Vous connaissez le vieux proverbe : Remettez un mendiant sur ses pieds et… vous savez le reste. Tout est fini avec King, j’ai attrapé mon congé. Je suis venu pour vous dire adieu et puis pour aller le diable sait où. Je vous en prie, ne me suivez pas et ne vous inquiétez pas de moi, vous ferez bien de m’en croire, ajouta-t-il avec un regard menaçant.

— Qu’y a-t-il ? dis-je, car je vis qu’il était inutile de l’exaspérer et de lui répliquer durement dans cet état d’agitation.

— Il y en a bien assez. Je suis incurable, voilà tout. Vous en saurez bientôt davantage.

Je ne pus en tirer rien de plus, car le vin qu’il avait bu commençait à agir sur lui plus fortement, et après avoir prononcé quelques