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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/1212

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il en résulte des inconvéniens pour la sûreté des mineurs. Le boisage n’étant point compris dans le travail rétribué, on décide difficilement les ouvriers à placer le nombre d’étais nécessaires pour soutenir la voûte, et cette négligence intéressée devient trop souvent une cause d’éboulemens. Les chutes de pierres et de blocs de houille, la rupture des chaînes, le roulement des wagons sur les plans automoteurs, l’emploi de la poudre font toujours perdre du monde. Dans la houille qui flambe et qui rougit le foyer domestique, il y a du sang de mineur. Quand un ouvrier est blessé, on le transporte d’ordinaire dans une chambre de l’établissement destinée à cet usage : un chirurgien attaché à l’entreprise vient lui donner les premiers secours. Si l’accident est mortel, à l’instant même tous les travaux sont suspendus, un silence de deuil règne dans ces lieux témoins et complices de l’événement. Le cadavre n’est quelquefois remonté au jour que le lendemain. Tous les ouvriers de la mine assistent à son enterrement; ces hommes, que le même sort attend d’un jour à l’autre, qui vivent à 5 ou 600 mètres au-dessous des morts, témoignent devant les restes de leur compagnon une tristesse grave, mêlée d’indifférence pour eux-mêmes; un humble De Profundis, sombre comme la voix de la fosse, monte lentement vers le ciel, et la terre tombe par pelletées sourdes sur ces héros obscurs du travail, qui ont en quelque sorte habitué leurs yeux à l’éternelle nuit. Ce courage passif n’est d’ailleurs pas le seul que témoignent les mineurs : quand l’événement est de nature à recevoir une atténuation, quand les victimes peuvent être secourues, oh! alors, pour un qu’on demande, il s’en présente dix; tous sont prêts à descendre sur le théâtre du sinistre, à lutter contre l’aveugle fureur des élémens, à arracher leur semblable de l’abîme, dussent-ils périr eux-mêmes victimes de leur dévouement. Le mépris personnel de la mort, on oserait presque dire l’amour du danger, distingue tout à coup cette classe de travailleurs, chez laquelle la fraternité du péril développe une sorte de générosité stoïque. Si l’homme grand est l’homme utile, l’ouvrier mineur, cet être inculte, devient dans ces momens-là sublime de désintéressement et d’audace : non content de consacrer ses nuits et ses jours à la production industrielle, il risque tout pour sauver ceux qui travaillent et qui militent comme lui. « Nul n’est au-dessus de l’homme qui donne sa vie, » dit Bossuet. L’ouvrier mineur ne donne point sa vie, il la prodigue.

Les accidens sont fréquens, graves et terribles; mais les jours de la population qui travaille dans les charbonnages sont encore moins atteints par ces désastres éclatans que par les maladies. Des causes sourdes et cachées agissent sur la santé des mineurs belges. Plusieurs d’entre eux meurent victimes d’une asphyxie lente. Nous avons vu