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frères, cela peut jusqu’à un certain point faire compensation. Quelques-unes de ces fraternités de villages remontent fort haut, et la cause en est ignorée de ceux qui, payant, auraient assurément quelque intérêt à la connaître. D’autres datent du temps des Égyptiens, époque où les Bédouins donnaient asile sous leurs tentes aux conscrits qui fuyaient le service militaire; il en existe enfin qui n’ont d’autre cause que des troupeaux volés et rendus à charge de redevance. Les choses en sont venues à ce point, que, tout bien calculé, certains villages paient plus de droits de fraternité aux Bédouins que d’impôt au gouvernement.

Le pachalik de Damas renferme cependant une sorte de paysans que les nomades ont contracté l’habitude de respecter : ce sont les Druses. Les Druses, tant ceux qui habitent la plaine que ceux qui habitent les montagnes du Hauran, jouissent auprès des Bédouins d’une immunité presque complète. Si vous avez à traverser le désert, faites-vous accompagner par un Druse; cela ne vous sauvera peut-être pas, mais cela vaudra toujours mieux que si vous aviez pour escorte tout un corps d’armée. Le respect des Bédouins pour les Druses tient d’abord à ce qu’il y a solidarité entre tous les Druses, ensuite à ce que les Druses sont gens d’une résolution et d’un courage incontestables, enfin et surtout à la crainte éprouvée par les Bédouins de se voir interdire les marchés du Hauran, pays d’une fertilité rare et d’une configuration qui le rend facile à défendre. Si en effet il n’était plus permis aux Bédouins d’aller faire dans le Hauran leurs provisions d’orge, de maïs et de blé, quant au commencement de l’automne ils quittent les environs du pachalik de Damas pour se rendre sur les bords de l’Euphrate, ils seraient exposés à mourir de faim pendant leur route dans le désert.

On accuse souvent à Damas les Turcs d’opprimer, de ruiner les chrétiens et les juifs : l’accusation n’est pas tout à fait sans fondement, je dois en convenir; mais on devrait, pour être juste, ne pas attribuer tout le malaise qu’éprouve l’habitant du pachalik à cette seule cause : il faudrait tenir compte aussi de l’action oppressive des Bédouins, action que ne tempère ni l’intérêt ni la crainte; il faudrait tenir compte enfin d’un brigandage à forme adroite et polie, mais ruineux, exercé contre des chrétiens, contre des juifs, et même contre des musulmans par quelques banquiers musulmans, chrétiens et juifs : je veux parler de l’usure. — Pour se rendre compte du mal qu’ont pu faire de tout temps les prêteurs d’argent (les choubassi, comme on dit en arabe), il est indispensable de connaître la somme de libertés municipales dont jouissent les peuples soumis à l’autorité de la Porte ottomane.

Partout dans l’empire ottoman les villages nomment eux-mêmes