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leurs cheiks, et ces cheiks, au nombre de deux en général, reçoivent ensuite une sorte d’investiture par la remise du cachet ou sceau de la commune, laquelle remise leur est faite par le pacha dans une séance publique du divan. Ainsi institués, ils deviennent tout à la fois et les répartiteurs et les percepteurs de l’impôt dû par leur communauté. C’est là assurément une preuve du grand respect que professe pour les libertés municipales le gouvernement du sultan; mais c’est là en même temps, je ne saurais me refuser à le reconnaître, la source d’une foule de maux pour les communes. Dans le pachalik de Damas, comme dans tous les pays où les libertés municipales sont en pleine vigueur, les emplois de cheiks sont vivement recherchés, et il est peu de villages en Syrie qui ne renferment plusieurs compétiteurs se disputant les suffrages de leurs concitoyens. D’un tel état de choses naissent naturellement des divisions, des haines, qui finissent toujours par tourner au détriment de la chose publique, et dont équitablement le gouvernement turc ne saurait être rendu responsable. Comme on doit le soupçonner, la répartition de l’impôt et l’emploi du revenu commun sont les causes qui produisent ces luttes intestines. Attaqués, gênés par une opposition presque toujours systématique, il arrive souvent que lorsque le trésor du pachalik a des besoins d’argent et que des appels de fonds sont faits en conséquence, les cheiks, n’ayant pas d’épargnes en réserve, éprouvent de véritables embarras. Voilà précisément le point où l’on voulait les conduire, et l’opposition se réjouit d’avoir atteint son but. Imprudens, qui devraient pourtant savoir par expérience ce qu’il va leur en coûter! L’embarras des cheiks ne peut être en effet que momentané, car les usuriers, toujours aux aguets, se présentent bientôt pour offrir de prêter la somme nécessaire, et cette offre, faite au pacha lui-même par l’intermédiaire des employés du divan, met le village dans l’impossibilité d’obtenir des délais, et l’oblige ainsi à traiter à des conditions d’autant plus onéreuses. C’est alors, comme on peut s’en douter, qu’arrivent les époques de grandes crises municipales. Le parti opposé au cheik en exercice met aussitôt en mouvement ses plus grands moyens d’intrigue; il arrive en masse au divan de la province, il y dénonce des dilapidations vraies ou fausses, et réclame de l’autorité supérieure une décision constatant la mauvaise administration, sinon l’improbité des cheiks. Les cheiks se rendent au divan de leur côté, suivis de tous leurs adhérens : on parle, on s’attaque, on s’injurie avec cette âcreté que comporte la langue arabe. Le pacha écoute la plainte, et finit par ordonner que les comptes de recettes et de dépenses lui seront représentés. Cette décision prise, il ajourne l’affaire à la semaine suivante. Ce sont huit jours employés à discuter encore, à s’échauffer les uns contre les autres, puis on