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à obus, soit pour les mieux repousser en cas d’attaque de leur part, en tirant à mitraille. Ceux qui connaissent l’Orient savent que les combats que livrent les Bédouins sont rarement longs et sanglans : trois ou quatre hommes et trois ou quatre chevaux tués suffisent ordinairement pour les dégoûter du combat. C’est même, pour le dire en passant, sur cette connaissance du peu de ténacité des Bédouins qu’est fondé le système de défense adopté contre eux par les habitans des villages situés sur la ligne du désert comprise entre Hebron et Gaza. Pour protéger les silos qui renferment leurs récoltes, et qui sont toujours établis assez près du village, les paysans ont construit au milieu du village même une tour représentant comme une sorte de clocher. Aussitôt qu’on est informé de l’approche des Bédouins, les portes du village se ferment, les hommes montent à la tour, disposée de manière à présenter plusieurs étages de feux, et dès que l’ennemi se trouve à portée, la mousqueterie commence. Rarement le Bédouin pousse très avant son attaque, et l’on a remarqué que la crainte que lui inspirent des feux aussi sûrement dirigés suffit pour assurer aux villageois un état de paix qu’ils ne goûtaient guère auparavant. Durant un voyage que j’ai fait dans ce pays, j’ai pu reconnaître, par la fusillade qui était tirée en notre honneur, ce que doit avoir d’efficace le système de défense des paysans, qui aujourd’hui nourrissent le désert moyennant finance, tandis que dans le temps passé ils le nourrissaient presque gratuitement.

Je suis loin de dire qu’une fois ces mesures prises et exécutées, tout désordre aura cessé dans les districts de Jaffa, de Jérusalem, de Naplouse, de Djenin, de Saint-Jean-d’Acre et de Tibériade, c’est-à-dire dans un pays qui renferme plusieurs centaines de milliers d’hectares de terres pour la plupart très fertiles; mais au moins les populations de ces districts, livrées à elles-mêmes et affranchies de la fraternité bédouine, ne seront plus aussi promptes à s’armer les unes contre les autres.

J’ai pu souvent juger par mes yeux de la funeste influence que ces sortes de fraternités exercent sur l’état intérieur du pays, mais jamais aussi bien que dans une circonstance particulière. Revenant de Jérusalem à Damas, j’arrivai un jour à dix heures du matin au pied d’une colline sur laquelle se trouve le village fortifié de Sanour. À partir de Naplouse, je n’avais rencontré que des hommes en armes et à l’air préoccupé; à peine installés pour passer là, au pied de quelques figuiers, les heures de la chaleur, nous aperçûmes, mes gens et moi, à l’horizon, du côté de l’est, un détachement de Bédouins se dirigeant vers Sanour, où la population paraissait les attendre avec une certaine anxiété. Les Arabes venaient, caracolant à travers les blés, qui commençaient à mûrir. Ils passèrent