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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.


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14 mars 1855.

S’il était un événement capable d’émouvoir les esprits et de créer une diversion puissante à l’instant où allaient se décider les grandes questions soumises à la conférence de Vienne, c’est celui qui est venu retentir en Europe d’une façon si brusque : c’est la mort soudaine et imprévue, bien que naturelle, de l’empereur Nicolas. Le tsar dont la carrière s’achève à peine, et qui a régné pendant près de trente années sur la Russie, a été trop mêlé aux affaires européennes pour que sa disparition en toute circonstance n’eût point été un fait considérable. À l’heure où nous sommes, c’est plus qu’un changement de règne ; c’est l’épreuve de toute une politique, c’est la question des rapports généraux du continent qui se pose de nouveau. Pour la Russie elle-même, il s’agit de savoir si le choix libre et réfléchi du souverain qui vient de monter au trône sera plus fort que la fatalité qui lui a été créée. Quelle sera l’influence de la mort du tsar sur la guerre, sur les négociations, sur la politique de chaque puissance ? Là est le problème qui se révèle dans l’éclipsé subite du dernier chef de l’empire russe. Ce n’est point sous les atteintes de l’âge que l’empereur Nicolas a succombé, — il n’avait pas soixante ans ; c’est bien plutôt sous l’effort permanent d’une activité dévorante, et, on pourrait le dire aussi, sous le poids d’une crise qu’il avait lui-même provoquée. Quand un homme en est venu à ce point, les anxiétés morales se mêlent sans nul doute à la maladie pour l’aggraver et la précipiter. Le tsar avait été pris d’un refroidissement ; on le pressait de prendre du repos : il n’a point voulu tenir compte du conseil, et quand il s’est arrêté, la mort était là. Ainsi finit une destinée qui aura sa place à coup sûr dans l’histoire de l’Europe comme dans l’histoire de la Russie.

Il y a près de trente ans déjà que ce règne qui vient de se clore aujourd’hui commençait sous de terribles auspices. Lorsque l’empereur Alexandre mourait dans son voyage mystérieux de Taganrog, il laissait une succession,