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— Voyons, mon frère, réponds-moi en toute franchise ; tu as peut-être été tenté par ce diamant : il est si beau ! Tu t’es dit peut-être : Avec l’argent que j’en tirerai, je me ferai bien voir de quelque belle fille du voisinage… Bettalou a du courage, il aime le travail, son catimaron lui suffit pour vivre. — Réponds-moi, frère, l’as-tu pris ?… S’il te faut plus de la moitié de ce trésor, eh bien ! nous verrons !… Je t’en supplie, dis-moi où il est.

En parlant ainsi, Bettalou avait passé sa main sur le cou de son frère, et il le regardait avec des regards supplians. Pour toute réponse, Dindigal exaspéré le repoussa d’un coup de poing qui faillit le jeter à la renverse. — Tu es un menteur, tu es un voleur, s’écria-t-il avec rage. Qui donc a fait disparaître le joyau que tu tenais sur toi en dormant ? Ah ! frère aîné, tu crois que je te laisserai toujours dire et faire à ta fantaisie ?

— Ingrat ! dit Bettalou ; va-t’en, je ne veux plus vivre avec toi.

— Ni moi non plus, je ne veux pas rester en ta compagnie, répliqua Dindigal ; tu me dépouilles de ma part et tu me mets dehors !… Tu me verras reparaître un jour, n’importe en quel lieu tu seras, et je te jure que tu ne jouiras pas en paix du fruit de ton mensonge !

— Pars, dit Bettalou, voilà la porte ouverte…, et tu y reviendras frapper quelque jour pour me demander une poignée de riz !

— Jamais ! s’écria le plus jeune des frères, jamais !

Il s’élança dehors avec des gestes de menace, et s’éloigna rapidement de la cabane. Bettalou le regardait avec tristesse marcher sur le sable de la grève, tournant le dos à la pauvre hutte où ils avaient vécu en paix durant bien des années. Un trésor possédé pendant quelques instans avait donc rompu pour jamais les liens de la nature et de l’affection, et en disparaissant de la cabane qu’il avait un moment illuminée de son éclat, le diamant laissait dans le cœur des deux Makouas le mépris mutuel fondé sur un de ces soupçons ineffaçables qui empêchent deux amis, deux frères même, de se rapprocher. Il connaissait bien la nature humaine, le poète hindou qui a dit : « Qui donc a le pouvoir de redonner la solidité à une affection que le mépris a rompue ? Peut-on recoller, en y appliquant un peu de laque, la perle qui s’est fendue ? »


IV

Le coup de vent qui venait de ravager la côte de Madras n’avait point épargné les mille petits chevaux d’argile placés dans les champs pour protéger les moissons. De tous côtés, les laboureurs accoururent vers le vieux cossever pour en avoir de nouveaux. Pendant un mois, Palaça et son père ne firent autre chose que façonner avec l’argile