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d’un salaire journalier est devenu l’objet d’une préoccupation constante, d’enquêtes et de débats sans cesse renouvelés, de mesures courues dans un esprit de justice et de sympathie. Si l’on veut prendre au hasard, depuis quinze ans, un mois des délibérations du parlement britannique, on sera surpris du nombre de celles qui intéressaient surtout les ouvriers des villes et des campagnes. Il y a là une différence, et, je dois dire, un contraste remarquable entre les chambres de Westminster et les assemblées du continent.

Voilà donc les grands traits de la situation : le maintien des pouvoirs, des classes, des formes publiques de la vieille Angleterre ; la prépondérance des classes moyennes dans le milieu constitutionnel ; les besoins, les sentimens, les droits des classes laissées en dehors de l’activité politique, devenant chaque jour l’objet plus distinct de l’attention des gouvernails et des gouvernés. C’est ce dernier point qu’on appelle l’invasion de l’élément démocratique ; c’est de ces trois choses qu’il faut savoir s’il sortira une l’évolution. Ce qu’on doit faire pour l’éviter, les vieilles institutions du pays le comportent-elles ? la classe moyenne est-elle capable de l’accomplir, la démocratie de l’accepter ?

Ce qu’on doit faire, il y a en Angleterre comme ailleurs des écoles qui prétendent le savoir par excellence, et qui ne l’évaluent pas à moins qu’une refonte radicale de la société. L’esprit de ces écoles a désormais un nom, c’est le socialisme. Le chartisme en est une forme, le communisme en est le dernier terme, le jacobinisme en est le moyen violent. Peu d’esprits en Angleterre vont à ces extrémités ; mais un socialisme spéculatif, un socialisme pacifique au moins dans ses intentions, un socialisme réformiste plutôt que révolutionnaire n’y est pas très rare, quoique je doute qu’il soit représenté dans les chambres par une minorité, si petite qu’on la suppose.

Avant d’examiner, au point de vue de la science, ce qu’il y aurait à dire contre le socialisme, quelque chose de plus important est à constater : c’est l’état général des esprits. En Angleterre, l’opinion est irrésistible. Le socialisme peut-il s’emparer de l’opinion, ou seulement le mouvement, l’intérêt de la démocratie, peut-il être tel qu’il entraîne tous les autres, et enlève à la nation le sang-froid, au gouvernement la liberté qu’il faut pour prononcer et pour agir avec prudence ? Les institutions sont de faibles garanties, si l’esprit de la nation n’est pas la première de toutes. On a beau s’attacher à des établissemens d’humaine fabrique, royauté, aristocratie, chambres, église ou tribunaux, et attribuer à des lois profanes la vertu de cette arche sainte dont la présence faisait des miracles : comment pense et comment sent la nation ? voilà la question capitale. Les institutions ont pu contribuer à former cette manière de penser