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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/281

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car, à ce compte, il y a moins de propriétaires que de propriétés. Il resterait que la petitesse excessive des lots peut favoriser l’agriculture sans lumières et sans capitaux ; mais elle n’amène pas en général la stérilité relative de la culture, ni l’appauvrissement des cultivateurs, si d’ailleurs les circonstances naturelles, les mœurs, les usages, l’éducation générale agissent en sens contraire. Ce sont là d’autres causes qui peuvent coexister avec la petite propriété, sans d’ailleurs en procéder. La question n’est donc pas la même dans toutes les zones de la France, et notre pays est trop étendu, trop divers par le sol, le climat, les mœurs, pour qu’une seule solution soit exactement vraie partout. Dans certaines parties des environs de Paris, l’énormité du produit de quelques terres en a amené l’extrême division : ailleurs, c’est la division de terres de peu de prix qui en a haussé la production et la valeur. Des circonstances aussi différentes ne peuvent donner lieu à des effets identiques. La vie frugale du paysan du midi et l’existence large de celui du nord ne peuvent avoir des résultats pareils.

Quant à l’intelligence portée dans les procédés agricoles, on sait qu’elle ne peut se passer d’argent. Or pendant un long temps, les capitaux ne se sont pas plus dirigés sur l’exploitation des grandes propriétés que sur celle des petites (et ce temps n’est point tout à fait passé). Sur les petites du moins s’est accumulée une certaine sorte de capital qui est le travail, et de là une agriculture féconde en Attendant une agriculture savante. Laissons toutefois le point de vue agricole, puisqu’il s’agit de politique. Sans doute la division des héritages n’a point empêché parmi nous les révolutions ; mais elle les a contenues. C’est une garantie de stabilité que la popularité de la propriété foncière, et c’est cette popularité, élément démocratique et conservateur à la fois, qui sur plus d’un point de la France a résisté en 1848 à la force de propagande des prédications qui tendaient à bouleverser l’ordre civil en même temps que l’ordre politique. D’ailleurs la division des terres n’est pas la division des fortunes. L’une pourrait engendrer la pauvreté et la dépendance, si elle agissait seule, si dans la civilisation moderne le développement extrême de la richesse mobilière ne compensait pas ses effets et ne recomposait pas les patrimoines. Avec l’égalité des partages, la matière de la richesse est plus mobile, la quantité de la richesse n’est pas nécessairement moindre, et la prudence dans les mariages peut toujours retenir le diviseur dans la même proportion avec le dividende. Certaines familles, mais non les familles en général, sont appauvries ; l’ancienne noblesse, par exemple, est peut-être aujourd’hui plus riche qu’avant 1789, car dans les classes aisées les conseils de Malthus sont écoutés, et la population ne marche point d’un pas plus rapide que la richesse. Ce n’est donc