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population, au degré de diffusion de l’instruction indispensable, les choses ont tellement changé depuis vingt ans, que ce qui était largesse alors peut sembler parcimonie. M. Greg accepte dans une certaine mesure ces diverses considérations. Il ne s’oppose point a ce qu’au lieu d’un chiffre invariable, signe du revenu d’un domaine ou du loyer d’une maison, on admette, suivant certains cas, des différences, puisque la même somme ne désigne pas dans toutes les localités la même position sociale. Il pense aussi que le vote électoral doit être accordé à ceux qui par leur profession, par les grades de capacité qu’elle exige, par l’aptitude qu’elle suppose, offrent à la société des garanties de sagesse et d’indépendance supérieures à celles qui résultent du prix d’un logement. Il se montrerait même beaucoup plus singulièrement novateur : il ne demanderait pas mieux que d’entrer dans l’idée d’assurer aux minorités considérables une représentation, en statuant, par exemple, qu’un électeur ne pourrait jamais voter que pour un seul nom, même dans les collèges qui élisent deux membres, ou qui en éliraient trois ; ou bien il ne se refuserait pas à autoriser les citoyens jugés capables à se faire porter sur une liste d’électeurs qui nommeraient, non un représentant local, mais un certain nombre de représentans généraux. Il cherche, et avec raison, dans le produit des élections la diversité au lieu de l’uniformité.

Ce ne sont là pourtant que des amendemens de législation ; il faut bien venir au point difficile, l’admission quelconque de la démocratie. Ses organes habituels ont présenté des plans divers ; mais on ne peut juger d’aucun plan, si l’on n’est préalablement Axé sur une question : — uel est le but d’un système électif ? Si l’on dit que c’est une bonne représentation, reste la question : que doit-elle représenter ?

C’est là un des plus grands problèmes des pays libres. La théorie est peut-être encore plus embarrassée pour le résoudre que la pratique, car dans la pratique on a toujours la ressource de se passer de théorie. Il y a du reste une doctrine fort simple. L’élection a pour but d’obtenir la représentation du nombre, c’est-à-dire de la majorité numérique de la nation entière. Ce principe pris à la rigueur aurait pour conséquence la suppression de toute minorité, et partant de toute opposition. Si vous appliquez au dénombrement électoral le principe de la capitation, il n’y a plus aucune raison d’exclure les femmes. Si vous tendez à la représentation des opinions et des volontés comptées par têtes, il faut que tous les citoyens votent sur tous les élus, que l’assemblée entière soit choisie par la nation entière. Or, comme on n’a jamais rien fait, ni proposé de semblable, c’est qu’apparemment on tient compte de quelque autre principe que le nombre. L’exclusion des femmes, des mineurs, des interdits,