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une certaine somme pour se loger dans certaines cités ou certains bourgs, il est électeur. Or ce n’est pas toujours un sage, un économique emploi du capital que ce genre de dépense suppose. Et pourtant ce que la loi cherche, c’est la preuve qu’un citoyen a constitué le commencement d’une certaine fortune, que la sagesse, la prévoyance, l’esprit de famille, l’habileté laborieuse, ne lui ont pas manqué à la fois. Toutes ces choses ne lui auraient pas manqué davantage, s’il avait placé le même capital dans une banque d’épargne, en achat d’annuités, en tout autre mode de constitution solide et d’une vérification facile. Au contraire, cette opération prévoyante attesterait avec plus de certitude qu’il a du sens et de l’ordre. La conséquence vient d’elle-même, c’est que pour les ouvriers la franchise ou le droit d’élire devienne le prix du travail et de l’économie. À cette élite des travailleurs M. Greg ajouterait volontiers une autre élite, composée de leurs chefs immédiats, des conducteurs d’ateliers, des contre-maîtres. Ceux-là aussi lui paraissent indiqués au même titre que les professions libérales et les grades académiques dans les classes moyennes. Joignez à cela quelques dispositions qu’il présente pour rendre l’élection tellement facile, pour la mettre si bien à la portée des électeurs, que la presque totalité de ceux-ci y prennent part, et notamment ceux qui maintenant restent chez eux. Vous aurez ainsi un plan de réforme rationnellement déduit, et qui ne serait ni insignifiant ni excessif.

VIII. — Il resterait à suivre ; l’auteur jusque dans la chambre des communes. Il décrit à grands traits les transformations qu’elle a éprouvées, et qui sont l’ouvrage du temps plutôt que de la loi. Il est évident qu’elle n’est plus seulement une lice où deux champions se disputent la victoire ; elle n’est plus un parterre de juges qui, en décernant le succès, donne la puissance. Encore moins se réduit-elle au rôle d’un pouvoir d’empêchement, d’un pouvoir qui, par le refus du subside, l’accusation ou la simple menace de l’un ou de l’autre, contient le gouvernement et le dirige sans presque y toucher. D’un moyen de contrôle elle est devenue un centre d’action. C’est un gouvernement délibératif, c’est une assemblée législatrice, c’est quelque chose comme le sénat et le forum à la fois. Ce sont les autres pouvoirs, et non pas elle, qui sont des obstacles, des freins, des modérateurs, des checks en un mot. Il s’ensuit que sa tâche est immense, ayant à répondre à tous les besoins d’une société de plus en plus active et compliquée. Les ministres, dans une sphère ainsi agrandie, ont à la fois plus de travail, moins d’influence et moins de responsabilité. L’empire plus direct de l’opinion publique, la présence en quelque sorte plus réelle de la nation dans la réunion qui la représente, affaiblit les liens de subordination, de solidarité, de connivence,