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renaissantes qui ravivaient à chaque instant une irritation dont la cause première était dans les situations respectives : il me suffira d’indiquer les points principaux qui seuls doivent appeler sur ce triste sujet l’attention de l’historien.

On a vu combien les difficultés avaient été gratuitement aggravées par la mesquine et ridicule affectation de considérer Napoléon comme un simple particulier. Cette affectation n’était rien moins que la lutte de la théorie du droit divin contre la vérité des faits ; elle devait par conséquent échouer, et la force des choses suffisait pour la déjouer. On peut, si l’on ne rougit pas d’une barbarie dont les gouvernemens de 1815 étaient heureusement incapables, enfermer dans un cachot un souverain déchu, on peut l’accabler d’ignobles et barbares outrages comme le malheureux Louis XVI, et la férocité même d’un pareil traitement est encore un hommage involontaire à la grandeur dont on s’efforce d’effacer ainsi les traces ; on peut, en un mot, traiter un roi captif plus mal qu’on ne traiterait un prisonnier ordinaire : — ce qui est impossible, c’est de le traiter de la même manière, c’est de faire disparaître par une apparence d’égalité la distance qui, aux yeux de tous, le sépare de la condition commune. Vainement affectait-on de ne donner à Napoléon que le titre de général et de se servir, en lui parlant, de l’appellation de monsieur ; ceux même qui faisaient usage de ces formules en semblaient gênés, ils n’abordaient pas Napoléon comme ils eussent abordé toute autre personne. Les étrangers qui désiraient le visiter étaient reçus en audience, et devaient s’adresser pour l’obtenir à celui de ses serviteurs qui continuait à porter le titre de grand-maréchal. Un officier d’état-major avait été établi à résidence à Longwood, et les instructions du gouvernement anglais lui prescrivaient de s’assurer par ses propres yeux, deux fois par jour au moins, de la présence du prisonnier. Non-seulement cet officier fut toujours exclu de la société de Napoléon, ce qui était assez naturel, mais il se trouva à plusieurs reprises, pendant des semaines entières, dans l’impossibilité d’accomplir cette prescription, Napoléon se tenant renfermé dans sa chambre, soit par motif de santé, soit par mécontentement, par caprice, quelquefois même, à ce qu’il semble, pour se donner le plaisir un peu puéril de tourmenter son gardien, qui se fatiguait du matin au soir, souvent sans succès, à essayer de l’entrevoir au passage ou à travers une fenêtre. Le cabinet de Londres, se voyant ainsi bravé, ordonna à sir Hudson Lowe de recourir à la force, s’il le fallait absolument, pour assurer à son délégué la possibilité de pénétrer chaque jour dans l’appartement d’où Napoléon s’opiniâtrait à ne plus sortir. Sir Hudson Lowe en fit plusieurs fois la menace, mais il ne l’exécuta pas, comprenant l’effet moral que produirait une pareille violence. Il ne donna non plus aucune suite, malgré les ordres