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se laissa tenter à l’attrait piquant d’une composition philosophique qui, tout en ne se défendant pas trop de l’objection de paradoxe, put offrir sous une forme populaire un grand nombre de vérités scientifiques. Beaucoup d’auteurs latins et français avaient, comme anciennement Aristote, décrit le ciel et ses immensités, ils avaient mesuré les astres et entassé les formules d’admiration pour l’espace qui les sépare, pour leur grosseur, pour la régularité de leur marche, et enfin pour les milliers de siècles qui règlent les périodes célestes. On peut voir un exposé de ce genre dans les œuvres de La Bruyère ; mais là, comme dans l’ouvrage bien plus spécial de Huygens, intitulé Cosmotheoros, tout est, pour ainsi dire, exclusivement scientifique, et, on peut le dire, assez peu intéressant pour nous autres habitans de la terre. Huygens, qui a écrit un peu après Fontenelle, ne semble pas avoir suivi les idées de son prédécesseur : il n’a pas admis le moindre doute sur les habitans des planètes, et on peut dire qu’il a poussé outre mesure leur analogie avec les habitans de la terre.

L’ouvrage latin d’Huygens, qui ne fut publié qu’après sa mort, est passé presque inaperçu. Il y en a cependant deux traductions françaises, dont l’une a été publiée en Hollande sous le même titre que l’ouvrage de Fontenelle, savoir de la Pluralité des Mondes. Ce dernier, publié en 1686 et complété en 1719 par un dernier chapitre, fut traduit dans toutes les langues et conquit une célébrité qu’aucun ouvrage purement scientifique n’atteignit jamais. Quoique écrit dans le système des tourbillons de Descartes, la partie théorique est tellement indépendante au fond des spéculations que l’attraction de Newton devait bientôt détrôner, qu’il serait très facile de faire disparaître ces légers emprunts, faits, pour ainsi dire, par condescendance aux idées alors régnantes, sans altérer en rien ni la contexture, ni les conclusions de l’ouvrage. Toutes les mêmes analogies que présente une étoile ou un soleil - centre d’un tourbillon qui fait tourner les planètes autour de lui - subsisteraient pour une étoile ou un soleil - retenant par son attraction et faisant ainsi tourner autour de lui ces mêmes planètes accompagnées de leurs lunes ou satellites. Fontenelle, comme on sait, disait que s’il tenait des vérités dans sa main fermée, il se garderait, bien de l’ouvrir ; on imaginera donc facilement que s’il a ouvert la main pour laisser échapper ce qui était déjà pour beaucoup de monde une vérité, savoir, la pluralité des mondes, il ne l’aura ouverte qu’avec ménagement et de manière à ne blesser aucune des susceptibilités qu’auraient pu alarmer des conséquences trop hardies déduites des principes qu’il établissait. L’ouvrage originairement ne comprenait que cinq entretiens ou chapitres. Dans une édition subséquente, il y ajouta un sixième