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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/413

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plus conciliantes manifestées par le cabinet de Pétersbourg, mais sans trop s’abuser, nous le pensons, sur la valeur définitive de ces dispositions, et sans se croire moins obligée de se tenir prête à toutes les éventualités prévues par le traité qu’elle a signé. Si la Russie, éclairée par les evénemens, tend enfin à entrer dans une voie plus pacifique, comment expliquer qu’en ce moment nême ses soldats franchissent le Danube et envahissent de nouveau le territoire turc dans la Dobrutscha ? Cela pourrait n’être point au surplus un jeu parfaitement sûr, car ce serait assurément une interprétation par trop judaïque de supposer que l’Autriche a pris l’engagement de défendre l’intégrité de l’empire ottoman en tenant les Russes derrière le Pruth, et que ceux-ci pourraient librement passer le Danube. Le cabinet de vienne a envisagé sa situation avec ses chances, ses périls et ses devoirs, et la Russie le trouvera sans nul doute aussi décidé dans l’action que dans les conseils, où il n’a point été le dernier à maintenir dans leur plus stricte intégrité les garanties réclamées par la sécurité de l’Europe. Du côté de l’Autriche, les calculs que le cabinet de Pétersbourg aurait pu faire se trouveraient donc peu justifiés.

La Russie sera-t-elle plus heureuse à Berlin ? Par malheur, la Prusse s’est placée depuis quelque temps dans une position qui devient de jour en jour plus singulière, à mesure qu’elle se dessine davantage. La politique du roi Frédéric-Guillaume n’est point visiblement dans l’enthousiasme d’elle-même, quoi qu’elle en puisse dire, et elle s’en prend un peu à tout le monde de ses mécomptes. Elle s’irrite contre les Turcs, qui lui ont créé de tels embarras, et qu’elle voudrait, voir disparaître au moment où elle signe des protocoles en leur faveur ; elle en veut à la Russie, qui n’adhère, pas à toutes les conditions de l’Europe, et à l’Europe, qui n’accepte pas toutes les interprétations du tsar ; elle voit avec une jalousie et un mauvais vouloir mal dissimulés l’Autriche plus décidée et prête à entraîner l’Allemagne. Elle dépense autant d’activité et de temps à ne rien faire qu’un autre en mettrait à prendre une résolution bien simple et bien nette. Et au bout de tout cela, à quoi arrive le cabinet de Berlin ? Sa parole n’a plus de poids, il n’a aucune place dans les négociations, où la Turquie elle-même a son rang ; il frappe inutilement à la porte des conférences, où il aurait pu entrer avec l’autorité d’une grande puissance. À quel titre la Prusse aurait-elle aujourd’hui son rôle dans les négociations ? Elle ne reconnaît point elle-même ses engagemens. Ne vient-elle pas en ce moment de refuser à l’Autriche la portion de son armée qu’elle lui avait promise ? Elle contrarie le cabinet de Vienne en tout ce qui touche la mobilisation des contingens fédéraux ; elle n’a adhéré à aucun acte diplomatique récent. La Prusse souscrira au traité du 2 décembre quand la paix sera signée, si elle doit l’être. Ce n’est point là évidemment un rôle grandiose ; mais de qui la Prusse pourrait-elle se plaindre ? Elle a élevé l’inaction à l’état de système politique, on la laisse au culte de son inaction. À Berlin surtout, l’acceptation récente de l’empereur Nicolas ne peut qu’avoir eu un grand succès. Pour tout dire cependant, le parti de la croix s’est un peu hâté ; il a peut-être mal servi la Russie en triomphant trop tôt d’une résolution qui, selon lui, allait réduire l’Autriche à l’immobilité, et en dévoilant trop ouvertement ce qui pourrait être le secret de la politique