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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/412

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1854, de ces conditions mêmes, au moment où elles se produisaient pour la première fois ? Il les repoussait comme attentant à la dignité de l’empire russe ; il refusait d’entrer en discussion à ce sujet. « Il devient inutile, ajoutait-il, d’examiner des conditions qui, si elles restaient telles qu’on nous les soumet actuellement, supposeraient déjà une Russie affaiblie par l’épuisement d’une longue guerre, et qui, si la puissance passagère des événemens nous forçait jamais à nous y soumettre, loin d’assurer à l’Europe une paix solide et surtout durable, ne feraient qu’exposer cette paix à des complications sans fin. » Que faisait tout récemment le chancelier de Russie dans une dépêche adressée au baron de Budberg à Berlin, et où il s’essayait à l’acceptation des mêmes conditions ? Il les réduisait à de tels termes, qu’elles seraient venues plutôt, ainsi transformées, à l’appui de la politique du cabinet de Pétersbourg. Et enfin quelle était la première parole du prince Gorlchakof l’autre jour, après la communication du 28 décembre ? C’est qu’on lui offrait la paix de la honte. Nous sommes persuadés qu’il n’en était rien, qu’il n’y a nulle honte à se rendre à la majesté du droit, quand on l’a méconnue ; mais lorsque de telles impressions se manifestent avec cette persistance, lorsque, entre le moment où elles se produisent et celui où on revient si brusquement sur ses pas, il s’est écoulé à peine quelques jours, pendant lesquels un gouvernement n’a été frappé par aucun désastre militaire, n’est-il pas permis de se demander quelle est la signification véritable d’un semblable acquiescement ? Si l’adhésion de la Russie est sincère, rien de mieux ; c’est une grande garantie de paix, comme aussi il ne serait point certainement impossible que par une diversion hardie le cabinet de Saint-Pétersbourg n’eut voulu tenter d’annuler le traité du 2 décembre, et rejeter l’Allemagne dans le chaos de ses discussions intérieures et de ses tergiversations. La Russie a pu réaliser une fois sa tentative avec succès ; elle l’a pu lorsque l’Autriche venait de s’engager à entrer dans les principautés, et qu’elle se retirait elle-même subitement derrière le Pruth. Elle réussissait ainsi à embarrasser l’Autriche, à fournir toute sorte de prétextes à la Prusse pour argumenter sur le sens de la convention du 20 avril, et elle gagnait tout le temps qui s’est écoulé depuis cette époque, en maintenant, pour le moment du moins et en apparence, ce faisceau des vieilles alliances du Nord. La même tactique n’aurait point le même succès aujourd’hui, et il y aurait une raison bien simple pour qu’il en fût ainsi : c’est qu’on s’est accoutumé à beaucoup moins compter sur la Prusse, parce qu’on n’est point forcé de savoir ce qu’elle ne sait pas bien elle-même, et que l’Autriche est entrée dans une voie où elle ne peut plus se laisser retenir longtemps dans les réseaux d’une diplomatie captieuse.

Réduire l’Allemagne à une neutralité impuissante pour se faire un rempart de son inaction, tel a été jusqu’ici, dans la question actuelle, l’idéal de la politique russe. Cette politique est arrivée à son terme, en ce qui concerne l’Autriche du moins. Si la Russie a pu se faire, une dernière illusion, elle doit l’avoir perdue déjà. La preuve en est que, malgré la déclaration du cabinet de Saint-Pétersbourg, le gouvernement de l’empereur François-Joseph ne s’est pas moins montré disposé à accepter toutes les conséquences de sa situation nouvelle et à prendre les mesures militaires inhérentes à l’alliance du 2 décembre. L’Autriche s’est empressée de donner acte des dispositions