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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/416

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voir dans son armée, de l’enrôlement des étrangers qu’il a été autorisé à faire. Cela suffit certainement. En France, la question principale est celle de l’emprunt. C’est aujourd’hui même que la souscription se ferme après être restée ouverte pendant quelques jours sur tous les points de la France, et, selon toutes les probabilités, le chiffre des sommes souscrites dépassera de beaucoup le chiffre total de la somme demandée. L’empressement paraît immense partout. De puissantes maisons anglaises ont affecté des fonds considérables à cette destination, et, à vrai dire, leur intervention n’était point nécessaire. Que l’avantage se trouve ici d’accord avec le patriotisme, soit ; le fait n’en reste pas moins comme un signe des dispositions publiques. L’emprunt reste jusqu’ici l’affaire principale, traitée par le corps législatif depuis sa convocation, et comme en dehors des sphères officielles et administratives l’activité est peu apparente, l’année a commencé, on le voit, sans bruit, sans effort, sans coups d’éclat, et même sans actes sérieux et utiles, ce qui vaut mieux que des coups d’éclat, qui ne sont pas toujours très sérieux ni très utiles.

La politique est tout entière, dans les affaires générales de l’Europe ; la vie sociale est sans agitations ; l’intelligence n’a pas eu le temps de faire sa part à cette année nouvelle. Voici cependant que se déroule cette vie littéraire souvent si indéfinissable, avec ses incidens, avec ses manifestations diverses, avec son travail permanent d’idées, d’intérêts, de vanités même parfois. Tout se mêle, tout se confond, et tout finit aussi par aller à son but, ceci à l’oubli, cela à la gloire. Ce n’est point nous à coup sûr qui nierons la place distincte et éminente que l’Académie française occupe, dans cette vie intellectuelle de notre pays ; mais comment l’Académie, garderait-elle cette naturelle autorité due à ses traditions, à la réunion de talens qui la composent, si ce n’est par son esprit, par ses tendances, par ses choix intelligens et sûrs ? l’Académie, on le sait, a cela de particulier, qu’elle est souvent raillée et qu’elle est toujours recherchée, de sorte que ses élections deviennent une mêlée de toutes les compétitions, de toutes les vanités, beaucoup plus empressées d’habitude que le talent. L’Académie en ce moment a plusieurs choix à faire, et ces élections ne laissent point d’avoir leurs péripéties, qu’il est parfois assez curieux et assez difficile de suivre. Il s’agit, en premier lieu, de remplacer M. Ancelot. C’était d’abord M. Ponsard, à ce qu’il paraît, qui se présentait dans les meilleures conditions de succès. M. Ponsard était la tragédie en personne, un des frères jumeaux de l’école du bon sens ; rien n’y manquait. Voici qu’un souffle de la fortune académique pourtant venait tout à coup diminuer les chances de l’auteur de Lucrèce, et semblait favoriser M. Émile Augier. Ce n’est pas que les deux candidats fussent réellement rivaux ; ils sont de la même école, ils doivent leurs succès aux mêmes influences, ils se présentaient sous les mêmes patronages académiques ; seulement M. Émile Augier était peut-être mieux servi par les circonstances. Qu’est-il arrivé ? l’auteur de la Ciguë, avec une magnanimité digne d’une plus grande cause, s’est empressé de décliner ce souffle de la faveur ; il a abdiqué ses droits et ses titres au profit de son maître, et alors M. Ponsard est remonté encore une fois au rang des candidats favorisés. M. Ponsard et M. Augier n’étaient point seuls en lice d’ailleurs. L’un et l’autre avaient un