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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/474

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Ce nom, qui signifie villa détruite, rappelle de sinistres aventures. À la place de ce bourg, il y a trente ans à peine, s’élevait une cité florissante, habitée par une population de près de quarante mille âmes. Verandcheir possédait de bonnes fortifications : c’était la résidence favorite d’un puissant pacha, dont le gouvernement, aujourd’hui démembré, a formé deux ou trois provinces. Les villes de Bolo, d’Angora, de Tcherkess, d’Héraclée, etc., lui étaient soumises ; mais le maître de ces grandes cités les quittait volontiers pour venir chercher le repos dans la verte vallée qui entoure Verandcheir, au bord de la rivière qui en arrose les rians jardins. Ce pacha s’appelait Osman, et c’est à cette prédilection que Verandcheir dut sa prospérité, malheureusement bien passagère.

À l’époque où florissait ainsi Verandcheir, le sultan Mahmoud gouvernait la Turquie, et son œuvre réformatrice se continuait au milieu de luttes sanglantes. Un des restes de l’ancien système turc qu’il importait de détruire était la domination des déré-beys. On désignait sous ce nom des teneurs de fiefs militaires en état de révolte permanente contre leur suzerain le grand-seigneur, et lui faisant la guerre avec des troupes levées parmi ses sujets. L’Asie-Mineure presque entière était partagée entre un petit nombre de ces beys, qui, tout en comprenant fort mal leur devoir vis-à-vis du sultan, étaient pourtant d’assez bons princes. Ils encourageaient jusqu’à un certain point l’agriculture et le commerce, et leurs intérêts n’étaient pas toujours contraires à ceux des populations. La guerre soutenue par les déré-beys contre le sultan imposait sans doute aux habitans d’assez lourdes charges ; mais les chefs rebelles ne négligeaient rien pour circonscrire les hostilités dans un territoire très limité, et chaque campagne était suivie d’assez longues trêves pour que le travail des champs, source de la prospérité des familles, ne fût pas complètement interrompu.

Osman-Pacha avait plusieurs femmes et plusieurs fils. Le malheur voulut qu’un de ces fils, nommé Moussa, fût séduit par l’exemple d’un des cousins d’Osman, qui figurait parmi les déré-beys les plus turbulens. Il se mit à parcourir le pays soumis à son père, s’empara du tribut pour son propre compte, leva des soldats, déploya l’étendard des déré-beys et revêtit leur costume. Le vieil Osman était resté un fidèle sujet du sultan ; il fut désespéré de l’incartade de son fils, et envoya message sur message à Constantinople pour protester de son innocence et de ses regrets. Touché de ces protestations, Mahmoud voulut éloigner le père des lieux où son armée pouvait avoir à sévir contre le fils rebelle ; il donna au pacha Osman un commandement en Roumélie. En partant pour sa nouvelle destination, Osman rencontra le corps d’armée qui allait combattre son fils : —