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Osman, et son jeune fils, Abdul-Medjid, lui succéda. C’est une étrange anomalie qu’un tel fils né d’un tel père, qu’un tel prince souverain d’un tel peuple, qu’un musulman si peu semblable aux musulmans de tous les âges. Aussitôt après son avènement, Abdul-Medjid s’occupa de découvrir ce qu’étaient devenues les familles de toutes ces illustres victimes qui avaient ensanglanté le règne de son père. Sur la liste de ces familles malheureuses figurait celle du pacha Osman. On retrouva quelques descendans du père de Moussa, qui étaient depuis la révolte du jeune bey retenus en esclavage. On leur rendit la liberté, ou leur restitua quelques-unes de leurs anciennes propriétés, et tous, hommes, femmes, enfans, quittèrent Constantinople pour retourner sur leurs terres. Parmi les graciés était compris le frère aîné de Moussa, qui épousa la principale veuve du déré-bey. Les biens rendus à la famille prospérèrent peu entre les mains de ceux dont la clémence d’Abdul-Medjid venait de briser les chaînes. Au lieu de faire valoir leurs terres, les descendans dégénérés d’Osman préféraient se livrer à l’usure, au commerce, et quelques-uns même vivaient de rapines. Le territoire de la vallée d’Eiaq-Maq-Oglou fut bientôt négligé, les moulins s’arrêtèrent, les canaux d’irrigation s’obstruèrent, et c’est dans ce triste état que se trouvait le pays autrefois habité par Osman, lorsque j’y arrivai. On voit à quels hommes j’allais avoir affaire. Une dame franque chassée de son pays par la guerre et venant passer son exil en Turquie, — c’est ainsi que la rumeur publique me désignait aux propriétaires fonciers des environs de Constantinople. Les descendans d’Osman surtout se dirent qu’ils auraient bon marché d’une étrangère débarquant en Turquie dans de pareilles conditions, et ils n’avaient pas tout à fait tort. Je vins de Constantinople visiter la vallée si chère au vieux pacha ; la situation, la beauté du pays, le calme de cette retraite enchantée, eurent bientôt vaincu mes hésitations. J’achetai pour cinq mille francs la vallée d’Eiaq-Maq-Oglou, c’est-à-dire une plaine d’environ deux lieues de long sur un tiers de lieue de large, coupée par une rivière et encadrée dans des montagnes boisées, avec une maison, un moulin et une scierie. Ce fut pour les frères du déré-bey un coup de filet étourdissant. Lorsque dans le pays on eut vent de la somme qu’ils venaient de toucher, on ne manqua pas d’observer que la fortune se déclare toujours en faveur des vauriens. Quoi qu’il en soit, je n’eus pas trop à me plaindre des anciens possesseurs de mon petit domaine, et quand je formai le projet de m’en éloigner pendant quelques mois pour me rendre à Jérusalem, c’est en compagnie du plus jeune des frères de Moussa-Bey que je me décidai à commencer mon voyage.

J’ai raconté avec quelque détail l’histoire de la famille dont j’avais