Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/504

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

copieux déjeuner préparé d’après les usages du pays, lesquels sont si contraires aux nôtres, que jamais je n’ai pu en prendre mon parti. Le pilau, que nous considérons comme une espèce de soupe, est toujours servi à la fin du repas, ainsi que la pièce de résistance, qui n’est souvent rien moins qu’un chevreau ou un agneau tout entier. Il est vrai qu’indépendamment du pilau on vous sert quelquefois une soupe, mais c’est une soupe au jus de citron, que des palais européens sont incapables d’apprécier. Le reste du repas se compose de quinze ou vingt petits plats : boulettes de viande hachée, toute sorte de légumes cuits dans l’eau et la graisse, de petites courges à l’ail assaisonnées avec du lait aigre et caillé, des boulettes de riz ou d’avoine concassée enveloppées dans des feuilles de vigne crues, de la purée de potiron, des pâtisseries et des confitures servies à travers tout le reste ; des fruits secs, confits, verts, mûris dans la paille ; du miel, de la farine d’avoine cuite dans du lait et du miel ; enfin tout ce qui peut satisfaire l’appétit le plus vigoureux et le goût le moins délicat. Vous êtes condamné à traverser ce repas monstrueux sans boire, car l’usage en Orient ne permet pas que l’on mêle les liquides aux solides. Le dîner fini, on apporte une compotière ou une grande coupe remplie de sherhett, c’est-à-dire d’eau et de sirop, autour de laquelle sont rangées des cuillères de bois ; chacun des convives en prend une et la plonge tour à tour dans le sherbett et dans sa bouche autant de fois qu’il lui plaît.

Le déjeuner fini, on m’annonça la visite des autorités, des illustrations de l’endroit et du clergé grec. Celui-ci se composait d’un évêque ou patriarche, de ses coadjuteurs, et d’un jeune piètre établi depuis peu dans la ville comme chef d’une école récemment fondée pour les enfans grecs. Cet ecclésiastique, à la physionomie intelligente, douce et souffrante, enseignait à lire et à écrire le turc, le grec, l’arithmétique, la géographie, le catéchisme, un peu d’histoire et le français à environ trois cents enfans, dont un peu moins du tiers étaient des petites filles. Il m’invita à visiter son école : sur la promesse que je lui en fis, il se montra enchanté et se retira aussitôt pour préparer ma réception. C’était en effet une plus grande affaire que je ne le pensais. Il revint une heure après m’annoncer que tout était prêt, et que ses élèves m’attendaient. Nous partons, nous traversons une partie de la ville, et nous arrivons traînant derrière nous presque toute la population. Le bâtiment affecté à l’école serait fort beau même en Europe. Bâti sur le sommet de la montagne et auprès des murs des fortifications, il domine dans toute son étendue le bassin occupé par les maisons de Judiehsou. Un portique soutenu par des colonnes lui sert de vestibule. Quant à la salle elle-même, elle est vaste, bien éclairée et bien aérée, garnie de bancs et