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de pupitres, terminée par une tribune où se tient le professeur. Les bancs, les pupitres, les cahiers, les livres, tout était d’une propreté scrupuleuse, et il n’eût tenu qu’à moi de me croire transportée dans une petite ville de l’Allemagne ou de la Suisse. J’admirai la salutaire influence qu’un homme actif et éclairé peut exercer sur une population presque tout entière, et il me tardait d’en exprimer toute ma satisfaction au digne prêtre auteur de ces prodiges ; mais le brave homme avait dans le moment bien autre chose à faire que de recevoir mes complimens. Il avait pris les devans pour courir à l’école, et nous le vîmes bientôt se diriger de nouveau vers nous, revêtu de ses habits pontificaux et suivi de tous ses élèves, qui chantaient des hymnes grecs. Ils se rangèrent sous le vestibule pour nous laisser passer, et entrèrent à notre suite dans la salle ; on me fit monter et prendre place à la tribune, tandis que le professeur plaçait ses élèves sur une double ligne vis-à-vis de moi. Les chants grecs cessèrent alors, mais, hélas ! des chants français composés ipso facto en mon honneur leur succédèrent. On me donna une copie, écrite de la main même d’un élève, de cette singulière poésie. J’en conclus que les élèves n’avaient rien perdu à voir retrancher du programme des études la leçon de français. Ce n’en est pas moins un grand pas de fait vers la civilisation que cet enseignement destiné à propager au sein d’une population orientale la connaissance, même superficielle, d’une langue d’Europe. Les plus riches habitans de Judiehsou avaient élevé la salle à leurs frais, fait venir le professeur de l’île de Candie, et lui payaient 6,000 piastres (à peu près 1,500 francs) par an. C’est un exemple que les Grecs du reste de l’empire ont grand tort de ne pas suivre et de ne pas encourager. Je m’informai de l’appui, des secours que les Grecs de Judiehsou avaient reçus à cette occasion de leurs compatriotes de Constantinople, et j’appris à regret que ces derniers étaient demeurés presque indifférens à cette pacifique révolution, car c’en est une que l’établissement d’une semblable école dans une pauvre et petite ville de l’Asie-Mineure. Quant à l’ecclésiastique qui se dévoue avec tant de zèle et d’abnégation à cette œuvre civilisatrice, je crains fort qu’il ne succombe bientôt à la peine. En effet, comprend-on qu’un seul homme puisse suffire à l’instruction et à l’éducation de cent cinquante garçons et de soixante-dix filles ? — J’ajoute à regret que dans tout mon voyage à travers l’Asie-Mineure et la Syrie je n’ai rien vu qui me rappelât, fût-ce même de fort loin, l’école et le professeur de Judiehsou.

Quelques jours après, nous marchions au milieu de montagnes de plus en plus hautes qui annonçaient la chaîne du Taurus. Je me souviens d’une nuit passée au pied d’une de ces montagnes nommée l’Allah-Daghda. Nous fîmes halte pour la nuit à un petit village :