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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/529

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« — O tsar orthodoxe, Ivan Vassiljevitch ! ton esclave a eu recours à la ruse, il t’a fait un faux rapport, il ne t’a pas dit toute la vérité ! Il ne t’a pas dit que cette femme si belle a été unie à un homme dans l’église de Dieu, qu’elle a été unie à un jeune marchand selon notre loi chrétienne…

« Enfans, chantez avec nous ! La guzli fait retentir des sons purs ; accompagnez en chantant les cordes de la guzli ! Chantez pour le divertissement du bon boyard, chantez pour remercier la boyarine au blanc visage.


II.

« Devant l’étalage de sa boutique, un jeune marchand est assis, un jeune et brave garçon, Stephan Paramonovitch ; son nom de famille est Kalachnikov. Il étend avec soin des étoffes de soie, il adresse aux passans des paroles engageantes, ou bien avec un fin sourire il compte l’argent qu’il a gagné. La journée est mauvaise pour le marchand ; maint riche boyard a passé devant lui, et nul n’est entré dans la boutique.

« Déjà la cloche de la prière du soir a cessé de retentir ; les lueurs rouges du couchant s’assombrissent derrière le Kremlin, les nuages courent précipitamment dans le ciel, et le vent commence à fouetter les airs avec des flocons de neige. Peu à peu le bazar devient désert. Stephan Paramonovitch ferme la boutique avec une porte de chêne garnie d’une bonne serrure allemande, et, pensif, il prend le chemin de sa maison : il pense à sa jeune femme qui l’attend au foyer, de l’autre côté de la Mosqua.

« Il entre, et tout d’abord il s’étonne de ne pas voir sa femme bien-aimée ; la table de chêne n’est pas encore servie ; c’est à peine si la lampe qui va mourir jette une dernière lueur devant les saintes images. Il appelle la vieille gouvernante.

« — Dis, parle, Jérémejevna, qu’est-elle devenue ? Où se cache-t-elle à cette heure de nuit ? Où est Alona Dimitrevna ? Mes chers petits enfans ont-ils déjà pris le thé ? Sont-ils fatigués de leurs jeux et les a-t-on déjà mis au lit ?

« — O toi, maître, Stephan Paramonovitch ! il s’est passé aujourd’hui des choses étranges. Alona Dimitrevna est sortie pour la prière du soir. Déjà le pope est de retour avec sa jeune épouse ; ils ont allumé les lumières dans leur maison, ils ont commencé le repas ; mais ta femme, jusqu’à présent, n’est pas encore revenue de l’église. Les enfans ne sont pas au lit, ils n’ont pas été jouer ; ils pleurent, ils pleurent, les pauvres petits, et demandent à voir leur mère.

« Des pensées furieuses assiègent le front du jeune marchand Kalachnikov ; il se met à la fenêtre, il regarde dans la rue, mais la rue est tout enveloppée des voiles sombres de la nuit. Une couche blanche s’épaissit sur le sol, et le bruit des pas se perd dans la neige.

« Écoutez ! Quel est ce bruit au seuil de la maison ? On dirait qu’on ouvre une porte. Le jeune homme entend le frôlement d’un pas léger, d’un pas qui semble fuir ; il prête l’oreille ; il guette dans l’ombre… Oh ! par le Dieu saint ! voilà que sa jeune femme est devant lui toute tremblante, oui, toute tremblante, toute pâle, la tête nue, les cheveux épars ; ses tresses d’or sont dénouées ; au lieu des ornemens, des flocons de neige y pendent ; ses yeux