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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/547

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le rattacher à deux écoles bien distinctes, nous allions dire bien contraires : celle qui se personnifie dans M. Scribe, et celle qui a trouvé son type le plus éclatant dans M. de Balzac.

Loin de nous l’idée de rechercher ici des contrastes et des parallèles ! loin de nous surtout l’envie de grandir M. Charles de Bernard en rabaissant, parmi ses contemporains célèbres, ceux dont le talent a le plus côtoyé le sien ! Il est une de ces écoles d’ailleurs qui échappe pour ainsi dire au contrôle et à la comparaison littéraire par ses succès mêmes, par cette popularité à la fois facile et constante, qui, partie du boulevard Bonne-Nouvelle, a fait si lestement le tour du monde. M. de Balzac au contraire offre un sujet d’étude trop complexe pour qu’on puisse, sans légèreté ou sans prévention, lui assimiler celui-là même qu’il a le plus accepté comme son émule ou son disciple. Il n’en est pas moins vrai que ces deux écoles si opposées, l’une toute de surface, l’autre ne croyant jamais avoir creusé assez loin ni assez fort, laissaient entre elles et à distance égale une place que M. Charles de Bernard aurait pu prendre, qu’il a devinée souvent, qu’il a prise quelquefois, et qu’il importe d’autant plus d’indiquer, que la conscience s’y intéresse comme le goût, la morale comme la critique.

On a si fort abusé depuis quelques années du mot réalisme, qu’il est devenu difficile de s’y reconnaître. Pourtant, en le ramenant à son sens naturel, à sa signification primitive, nous dirions volontiers que le réalisme dans l’art est le sentiment vrai ou excessif de la réalité se passant de toute poésie ou ne la cherchant qu’en lui-même. Il peut donc, sans manquer à son nom, se développer dans des conditions bien différentes : ou il ne saisira de la vérité que ce côté banal, vulgaire, que tous les hommes comprennent et qui plaît à presque tous parce qu’ils s’y retrouvent, parce qu’il les remet en face de leur propre nature ; ou il la prendra par le côté contraire, par celui qui touche à l’exception, à la rareté belle ou hideuse, sublime ou immonde, mais toujours raffinée, dépravée, exagérée, montée en couleur et en ragoût. C’est au milieu, on le conçoit, c’est dans les zones intermédiaires que la vérité peut garder sa justesse, son enseignement et sa grâce, que l’étude du monde et de la vie, l’analyse des sentimens et des caractères, peuvent lui ouvrir des sources fécondes, qu’elle peut toucher à la poésie sans s’y perdre, se combiner avec l’idéal sans y disparaître. Relisez les chefs-d’œuvre du roman dans les genres les plus divers, vous y trouverez avec des nuances inégales, suivant que l’auteur a voulu serrer de plus près ou dominer de plus haut la réalité, un même trait de physionomie, — la vérité ne devenant jamais ni vulgaire, ni excessive, et gardant ces qualités d’harmonie, d’élégance et de mesure dont l’ensemble a