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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/546

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où l’auteur semblait vouloir essayer ses forces avant de laisser là le lyrisme et la rêverie, et de se mesurer virilement avec la société ou l’histoire. En somme, le succès ne fut pas assez vif pour retenir M. de Bernard à Paris. Nous le retrouvons à Besançon dès l’automne de 1832 ; M. de Balzac alla l’y chercher en 1834. Il est assez piquant de rappeler les conseils qu’il lui donnait à cette époque. « Vous avez la tête épique, lui disait-il avec ce grain d’exagération qu’il mêlait à tout : écrivez de grands ouvrages, où le roman s’associe à l’histoire sans la défigurer, et qui soient pour votre pays ce que les Puritains sont pour l’Ecosse, ce qu’Itanhoe est pour l’Angleterre. » On sourit lorsqu’on rapproche ce conseil des jolis tableaux de genre que Charles de Bernard allait écrire et qui ne gardent pas trace de prétention épique. Et pourtant, bien que le sens critique soit, — avec le sens commun peut-être, — celui qui a le plus manqué à M. de Balzac, je suis tenté de croire que cette fois il était dans le vrai. Je n’avais jamais vu M. Charles de Bernard, mais j’ai pu, grâce à un affectueux accueil, contempler son portrait religieusement conservé comme une relique de famille. À voir cette figure énergique et martiale, ces épaules carrées, cette fière attitude, on se demande si l’auteur de Gerfaut, venu quinze ans plus tôt, n’aurait pas suivi une voie plus large et plus historique, s’il n’a pas été un Walter Scott volontairement amoindri, ou plutôt un Bergenheim lettré, un descendant des fortes et vieilles races, obligé par le malheur des temps à échanger contre une plume la rapière et l’épée.

D’après l’avis de M. de Balzac, il se mit à fouiller dans les chroniques franc-comtoises, et commença quelques grands romans empruntés à l’histoire locale, dans le genre de ceux que M. Frédéric Soulié, vers la même époque, taillait de sa rude main dans les archives du Languedoc. Mais si M. Charles de Bernard avait des velléités chevaleresques qui le reportaient vers le passé, il avait aussi, et à un plus haut degré, cet esprit d’observation qui le ramenait au présent. Revenu à Paris en 1835, il regarda autour de lui, comprit que le moyen âge et l’imitation de Walter Scott avaient fait leur temps, s’initia aux rapides vicissitudes du goût public, et se décida, non sans regret, à monnayer ses lingots. M. de Balzac le fit entrer avec lui à la Chronique de Paris ; il y publia comme ballon d’essai la Femme gardée, qui n’eut pas de succès et n’en méritait guère. Quelques semaines après, la Femme de quarante ans et un Acte de vertu, paraissant presque coup sur coup, vinrent révéler un nom qu’on n’a pas oublié depuis et un talent qui a eu de nos jours des égaux ou même des supérieurs, mais qui, dans son cadre et son genre, n’a point été dépassé. Au même moment, il débutait an Gymnase par la jolie pièce d’une Position délicate, et ce double début semblait déjà