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SCÈNES DE LA VIE
ET DE
LA LITTÉRATURE AMÉRICAINES




III.

LE CAPITAINE NÉGRIER.


Captain Canot, or thirty Years of an African Slaver, by Brantz Mayer ;
Londres et New-York, 1854.


Le pittoresque s’en va, gémissent à l’envi les dilettanti, les touristes, les partisans de l’art pour l’art et les amateurs de curiosités. Plus la moindre petite monstruosité à contempler, plus de fétiches bizarres, de superstitions cruelles, de costumes extravagans ! Une teinte uniforme s’étend sur l’univers entier. Oui, le pittoresque s’en va, et si sa disparition peut donner lieu à bien des regrets légitimes, elle peut également donner aux âmes morales bien des sujets d’honnête satisfaction. Il ne s’agit que de s’entendre.

Jadis le monde était plein d’originalité, et les brigands eux-mêmes étaient des êtres fort romanesques. L’aventurier d’autrefois, l’homme en quête d’émotions violentes, qui montait un navire et courait les mers plutôt pour chercher des aventures que pour faire fortune, l’homme qui sacrifiait non-seulement les préjugés humains, mais même les idées les plus élémentaires de la morale, à l’accomplissement de ses fantaisies, qui se moquait d’être criminel, pourvu qu’il fût héroïque, et qui semblait croire que le courage lave toutes les fautes, ce personnage n’existe plus. C’en est fait de l’écumeur de mer et du pirate, et cette disparition n’est certes pas fort regrettable. Le brigand poétique et chevaleresque, protecteur du pauvre, redres-