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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/624

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qui les emploie, et qui s’acquittent généralement de leur mission avec autant d’activité et de véracité que les faiseurs de réclames européens. Quelques jours après le départ des barkers d’Ormond, des coups de feu répétés, signal de l’arrivée de la caravane, se firent entendre, et bientôt on vit surgir d’un nuage de fumée le puissant Ahmah de Bellah, précédé de chanteurs qui disaient sur un rhythme barbare les mérites du jeune chef et suivi de son escorte. Cette escorte était composée d’une manière fort originale. Par derrière le chef venaient les trafiquans avec leurs esclaves chargés de leurs produits africains, peaux, cire, ivoire, riz, poudre d’or, puis quarante captifs noirs les mains enchaînées par des liens de bambous, une trentaine de bœufs, et un troupeau de moutons et de boucs. Une superbe autruche apprivoisée, trottant d’un pas grave et solennel, fermait la marche. Tous défilèrent devant Ormond, déclarèrent la quantité et la valeur des marchandises qu’ils portaient avec eux et les déposèrent dans les magasins du mongo. Pendant que les trafiquans vendent à vil prix leurs marchandises au mongo, donnent une livre d’ivoire pour un dollar, une livre de riz pour un sou, il faut nous arrêter un instant auprès de l’intéressante figure de cet Ahmah de Bellah, fils du puissant roi Ali-Mami de Footha-Yallon.

Ahmad était musulman, et, dit plaisamment notre auteur, pouvait être regardé comme un assez remarquable échantillon du parti de la jeune Afrique. Toute sa personne indiquait un Africain de race supérieure, dégrossi par une éducation princiers (ce fait a son importance, même en Afrique), par l’habitude du commandement et par la lecture du Koran. Ses lèvres n’avaient rien de cette grossière sensualité caractéristique de la race nègre. C’était la première fois qu’il commandait une caravane, et on ne sera peut-être pas fâché de savoir comment se forme une caravane dans l’intérieur de l’Afrique. Le chef qui obtient du roi cette permission part, au commencement de la belle saison, avec une faible escorte sur laquelle il a droit de vie et de mort. Chemin faisant ; il envoie de petits détachemens occuper les défilés des forêts et des déserts, pour traquer les trafiquans et les marchands qui se rendent sur la côte avec leurs esclaves et leurs produits, et qui sont ainsi obligés d’aller, bon gré, mal gré, grossir la caravane du chef. Il est inutile de dire que les petits trafiquans font tous leurs efforts pour se soustraire à ces moyens despotiques qui établissent en Afrique une assez curieuse hiérarchie d’esclavage. Personne n’y échappe, comme on le voit, pas même le propriétaire de l’esclave. Le mahométisme lui-même ne sert qu’à resserrer les chaînes dans lesquelles l’Afrique s’occupe depuis des siècles à se garrotter. Malheur au délinquant sujet d’un souverain musulman qui conserve la religion de ses fétiches, et joint à ses