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délits celui d’adorer avec trop de ferveur le Mumbo-Jumbo ! Il est vendu sans pitié comme esclave, tandis que le délinquant mahométan en est quitte pour une bastonnade. L’esclavage est l’unique peine pour tous les crimes ; il est à lui seul la base de toutes les institutions de l’Afrique, la loi de la guerre, le soutien de la hiérarchie, le fondement du commerce, le régulateur des poids et mesures. Il sert à tous les usages de la vie, il est le rémunérateur de toutes les passions et de toutes les cupidités de l’âme humaine. La seule monnaie africaine, c’est l’homme. L’homme vaut tant de livres de poudre, la femme tant d’aunes d’étoffe de Manchester, l’enfant tant de bouteilles d’eau-de-vie. S’il ne peut pas être vendu, il n’est bon qu’à tuer. Quant aux prisonniers de guerre que le chef vainqueur ne peut vendre, leurs têtes roulent, et leur sang rougit le sable de cette terre, mère des monstres et des crimes. — Mais cet état, dira-t-on, existe depuis des siècles ? Sans doute, et le seul point que nous voulions faire ressortir, c’est l’impuissance du mahométisme à modifier cet état de choses. Au contraire cette religion donne une sanction à. toutes ces horreurs. La seule modification que le mahométisme ait apportée dans l’esclavage, c’est de le faire servir comme de punition légale. En réalité, il en a élargi encore la sphère, car il est évidemment bien loin de vouloir condamner l’esclavage des femmes et l’esclavage des païens qui refusent de reconnaître la puissance d’Allah et la gloire de son prophète. Nous devons dire pourtant, à l’honneur du mahométisme, que les nègres musulmans qui exercent les fonctions de magistrats ou de chefs ne laissent échapper aucune occasion d’arracher à l’esclavage leurs coreligionnaires ; mais qui ne voit que cette exception cesserait bientôt, si toute l’Afrique était musulmane ? Rien, nous le répétons, ne peut modifier profondément l’Afrique, rien si ce n’est une religion qui ferait violence à ses instincts.

Ahmah de Bellah était bon musulman, Théodore Canot était assez mauvais chrétien, par conséquent ils ne tardèrent pas à s’entendre. Ils se virent souvent, et conversèrent ensemble par l’intermédiaire d’un interprète qui n’était ni juif, ni chrétien, ni musulman. Ahmah se prit d’une si belle amitié pour Canot, qu’il entreprit de le convertir, et Canot essaya, de son côté, de le convaincre de la rotondité de la terre. Ils ne réussirent ni l’un ni l’autre. Ahmah en fut pour ses frais de prédication et d’exhortation religieuse. Ces conférences édifiantes étaient souvent entremêlées d’incidens d’un genre moins édifiant. Ainsi, sur les quarante esclaves qu’avait amenés la caravane, le mongo en refusa huit ; Ahmah consentit à en reprendre sept, mais insista pour que le huitième fût embarqué, parce que, dit-il, on ne pouvait ni le tuer, ni le ramener dans son royaume de