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mouvement est un des phénomènes les plus étranges de notre temps. Qu’on songe que depuis 1815 près de quatre millions d’hommes ont émigré d’Angleterre. Dans une des dernières années encore, le chiffre des émigrans a été de plus de trois cent mille. D’année en année, l’émigration allemande s’accroît dans les mêmes proportions. Quelles sont les causes de ce mouvement ? La difficulté d’arriver à la propriété dans certains pays de l’Europe y est pour beaucoup sans doute : en France, où les conditions générales d’existence sont plus faciles, les émigrations sont peu nombreuses ; mais la France a un autre intérêt dans cette question : elle a un intérêt de commerce et de navigation à devenir le point de transit des émigrations allemandes. C’est là aussi l’objet d’un règlement élaboré dans la commission présidée par M. Heurtier, règlement qui a pour but d’assurer aux émigrans, par une protection permanente, toutes les garanties de sécurité et toutes les facilités dans leur voyage.

Ainsi se mêlent les faits les plus divers. Des nations qui se choquent pour raffermir au prix du sang leur sécurité menacée et arriver à se rasseoir dans leur équilibre, des populations qui se déplacent pour aller loin de leurs vieux foyers à la poursuite du bien-être ; des guerres, des émigrations, des exodes, selon le mot appliqué aux expatriations en masse des Irlandais ; l’industrie qui marche au pas de course, le commerce qui se multiplie, c’est là un des côtés grandioses du monde de cette époque : vaste mouvement au sein duquel l’intelligence, un instant confondue en quelque sorte, cherche ses voies, qu’elle ne trouve pas toujours, aspire à revivre d’une vie agrandie et épurée ! Quelque soit en effet ce mouvement, quelque extension qu’il prenne, quelques merveilles qu’il enfante, il ne sera rien, ou il ne sera qu’un rêve éblouissant conçu dans la fièvre de la richesse, s’il lui manque cette gamme secrète d’où naissent la littérature et les arts. Mais la question est de savoir quelle influence cet immense déploiement des forces matérielles exerce sur le travail Intellectuel, quelle connexité il y a entre ces intérêts positifs et cette vie idéale ; la question est de savoir aujourd’hui d’où vient la littérature et où elle va. Dans le passé, on n’en saurait douter, l’intelligence de notre siècle a eu à travers tout un éclatant essor. Tour à tour passionnée, éloquente, sérieuse, puérile, audacieuse, coupable même, elle a été le reflet d’un temps dont elle a partagé toutes les fortunes. Voici cependant que non-seulement en France, mais dans tous les pays, il se produit une sorte de transition et d’attente, comme un travail nouveau de recueillement : moment propice pour s’interroger sur cette période qui s’achève à peine. Il y a de moins la passion de la lutte, et c’est sans doute le gage d’un jugement plus libre et plus exact. Il y a de plus aussi des déceptions, une certaine lassitude, et c’est peut-être la source d’un pessimisme contre lequel il faut savoir se prémunir. Ce qui n’est point douteux, c’est que cette époque de tentatives littéraires qui a commencé il y a près d’un demi-siècle, et qui semble prendre fin, est là avec ses lacunes, avec ses faiblesses, comme aussi avec ses résultats durables. M. Alfred Nettement avait déjà écrit une histoire littéraire de la restauration ; il publie aujourd’hui une Histoire de la Littérature française sous le gouvernement de juillet. Eloquence parlementaire ou religieuse, études historiques, poésie, roman, théâtre, critique, polémique,