Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/656

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des notions immuables. Cela suffit-il cependant pour expliquer toutes les évolutions de l’intelligence, pour apprécier, classer et étiqueter tous les travaux d’une époque littéraire ? Soit donc : nous aurons des historiens, des poètes, des critiques, qui ont une théodicée, et ceux qui n’ont point de théodicée. Mais la vie même des lettres, le caractère des talens, le mystérieux travail du génie poétique, l’originalité des couvres et des esprits, l’influence permanente et mutuelle de la société sur la littérature, de la littérature sur la société, c’est là justement ce que l’auteur ne montre pas. Sait-on où est placé très dogmatiquement M. Alfred de Musset ? L’auteur du Caprice est naturellement quelque peu étranger à la théodicée : il est placé dans l’école rationaliste, et il a pour voisins M. de Pongerville. M. Arnault et M. Viennet ! Soyez donc un poète éloquent et inspiré pour être jugé de la sorte, pour vous entendra appeler rationaliste ! Il y a ainsi dans l’Histoire de M. Nettement quelque chose d’entièrement convenu ; ses rapprochemens sont très factices. Les filiations qu’il retrace sont le plus souvent arbitraires, et même ses observations sur les faits littéraires ne sont pas toujours exactes, tant s’en faut ! En étudiant M. Alfred de Musset et un de ses poèmes, Rolla, M. Nettement ajoute qu’on n’avait rien entendu de semblable aux accens du poète depuis la confession navrante de Jouffroy racontant comment une nuit il avait senti la foi s’envoler de son âme. Il n’y a qu’un inconvénient ici, ce nous semble, C’est que les pages de Jouffroy ont vu le jour dix ans après Rolla. C’est ainsi que M. Nettement a écrit un livre qui est moins une histoire qu’un ensemble de dissertations où manque surtout le vif et juste sentiment des choses littéraires. Sa critique a un défaut essentiel assez commun de notre temps. Il semble parfois qu’on n’ait plus une notion exacte de la proportion des œuvres et des hommes. Dans le bilan des études historiques de notre siècle, M. Nettement parlera avec le même accent sérieux de M. Augustin Thierry et de M. Gabourd ; M. Mérimée, aura tout juste sa mention auprès de M. Paul Féval ! Il en résulte que les éloges perdent singulièrement de leur prix précisément parce qu’ils ne se fondent pas sur une juste appréciation. Nous serions presque tentés de défendre un de nos plus ingénieux collaborateurs, M. de Pontmartin, qui a sa place dans l’histoire nouvelle. M. Nettement s’appuie fréquemment des opinions littéraires de M. de Pontmartin, et ce ne sont pas les moins bonnes pages de son livre ; mais en même temps il transforme les nouvelles du spirituel écrivain, qui vient de publier encore aujourd’hui un agréable et élégant volume, le Fond de la Coupe, en une réaction contre les romans de Mme Sand ! C’est là ce que nous appelons un genre d’éloges très périlleux. Heureusement M. de Pontmartin, en homme d’esprit, s’est vengé tout de suite : il a appelé l’Histoire de M. Nettement un monument !

Dans cette vie littéraire, qui a ses heures d’éclat et ses heures douteuses, qui voit se succéder les incidens les plus divers, il y a parfois, en vérité, d’étranges contrastes, de singuliers mélanges de faits d’une nature à coup sûr fort opposée. Tandis que la littérature cherche à vivre, tandis que les livres se multiplient, tandis que M. Scribe faisait représenter l’autre jour encore au Théâtre-Français une œuvre nouvelle, la Czarine, qui met en vaudeville le monde russe, Pierre le Grand et Catherine, fort étonnés sans doute