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de passer tour à tour d’un opéra-comique à une comédie, il s’est trouvé un homme qui a un nom, un rang dans les lettres, et qui est allé mourir tristement au coin d’un carrefour innommé : c’est M. Gérard de Nerval. Comment est-il mort ? C’est là ce qu’il ne faudrait pas même trop rechercher. Il suffit de ces douloureux détails d’un homme de talent mourant à l’aventure, trouvé le matin dans une rue et disparaissant du monde à l’improviste. On connaît cet esprit fin, pénétrant, curieux et humoristique, qui s’est joué dans tant de pages charmantes des Femmes du Caire, ou de ce dernier récit de Sylvie, tout plein d’une grâce rêveuse et émue. Certes, s’il est un genre de talent qui dût faire pressentir une telle mort, ce n’est point celui-là. Malheureusement cet homme inoffensif et doux vivait par l’esprit dans un monde étrange de rêveries impalpables, et sa vie réelle, il la traînait un peu partout. Dans cette lutte du rêve et de la réalité, son intelligence avait semblé s’obscurcir plus d’une fois ; elle reparaissait toujours douce et simple comme celle d’un enfant, et il retrouvait tout son goût, toute sa finesse littéraire. Il n’a point résisté à une dernière épreuve, et il a disparu sans bruit, tristement, mais en laissant des pages qui ont leur place dans la littérature de notre temps par une certaine originalité contenue et saisissante. Ainsi la littérature a ses épisodes, comme la politique a les siens.

Mais la politique, c’est la vie même des peuples, c’est l’ensemble de leurs intérêts et de leurs affaires, c’est cette succession d’actes et de manifestations par lesquels ils jouent leur rôle sur la scène du monde. Le Piémont a eu depuis quelques jours le privilège d’appeler sur lui l’attention par l’initiative intelligente qu’il a prise en entrant dans l’alliance des puissances de l’Occident. Cette grande affaire a eu même un côté tout intérieur ; elle a provoqué la retraite du ministre des affaires étrangères, le général Dabormida, qui tenait, à ce qu’il paraît, à ce que l’Angleterre et la France prissent l’engagement de faire lever le séquestre mis par l’Autriche sur les biens des Lombards nationalisés piémontais. C’est le président du conseil, M. de Cavour, qui a pris le portefeuille des affaires étrangères, et qui a signé le protocole portant l’accession du Piémont. Cette accession, il s’agit aujourd’hui de la faire continuer par les chambres, et déjà cette question a été soumise au parlement. Les premières dispositions de la chambre des députés ont été entièrement favorables, et en cela la chambre ne fait qu’exprimer la véritable opinion du pays. Si l’acte accompli par le cabinet de Turin a rencontré quelque opposition, c’est dans les rangs des partis extrêmes. Du reste, dès le début même de cette discussion, M. de Cavour s’est placé très nettement sur le véritable terrain, en montrant l’intérêt qu’avait le Piémont à prendre rang dans une lutte qui peut ouvrir toutes les perspectives, si elle se prolonge. Ce n’est pas là cependant le seul fait qui vienne aujourd’hui se mêler à l’histoire de ce petit peuple. À peu de jours de distance, le Piémont a vu mourir la reine Marie-Thérèse, veuve de Charles-Albert, et la reine régnante, Marie-Adélaïde, femme du roi Victor-Emmanuel. La reine Marie-Thérèse était une archiduchesse d’Autriche, fille de l’ancien grand-duc de Toscane Ferdinand III. Elle s’était associée à la destinée de Charles-Albert, et avait voué à sa mémoire un culte dévoué et profond. La reine Marie-Adélaïde était aussi une archiduchesse, fille de l’archiduc Renier, qui a gouverné longtemps la