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de Vélabre, conservé aujourd’hui dans la petite église de Giorgio in Veîabro. Ce lieu sauvage fut le théâtre du poème de Romulus.

Je crois à Romulus sans croire, bien entendu, aux fables indigènes et grecques dont on a entouré sa mémoire. En général, la légende prête beaucoup à ses héros, mais elle ne les crée pas. On a certes bien raison de ne pas prendre pour de l’histoire les récits évidemment en grande partie fabuleux des premiers temps de Rome; mais on va trop loin, ce me semble, quand on nie l’existence des rois. Je crois que, si la tradition ajoute beaucoup à la réalité, il y a toujours une certaine réalité au fond de la tradition la plus mensongère. Selon moi, elle invente les faits beaucoup plus que les personnages; en ne voyant dans ceux-ci que des mythes, on se trompe sur la nature des procédés naturels de l’imagination populaire. On arrive ainsi à récuser sans preuves l’existence d’Homère, de Lycurgue et de Jésus-Christ. À ce compte, je ne sais pas ce qui resterait de l’histoire, car tout peut s’expliquer par des symboles. En appliquant ce système sans trop l’exagérer, on est parvenu à établir d’une manière assez plausible que Napoléon n’a jamais existé.

Quant à moi, je dois le dire, le spectacle des lieux ne m’a point inspiré un scepticisme absolu sur l’histoire de la Rome primitive. Cette histoire, en la dépouillant de ce qui est évidemment légendaire, s’accorde trop bien dans ses traits fondamentaux avec l’état ancien des lieux pour avoir été inventée après coup et artificiellement adaptée à la notion d’un état qui avait changé. La légende ne connaît pas ces habiletés et ces finesses; elle procède plus naïvement et ne fait point, pour employer le jargon moderne, de la couleur historique. D’autre part, les allures de grand monarque données à Romulus dans certains livres d’histoire semblent bien plaisantes sur le terrain, et quand on s’est transporté en esprit à cet humble début de la grandeur romaine. Néanmoins la légende, en la prenant pour ce qu’elle est, c’est-à-dire pour un souvenir naïvement altéré de l’histoire, la légende est pleine d’une poésie incomparable que l’on sent plus profondément aux lieux qui l’ont inspirée.

Quand on rôde aux approches de la nuit dans ce coin désert de Rome où fut placée la scène des premiers momens de son premier roi, on y retrouve, même à présent, quelque chose de l’impression que ce lieu devait produire il y a vingt-cinq siècles, à l’époque où, selon la tradition, fut abandonné un soir sur la plage le berceau de Romulus. On voit sourdre encore un reste des eaux du Vélabre sous une voûte sombre et froide tapissée de mousse et où de grandes herbes frissonnent dans les ténèbres. Près de là, l’église de Saint-George-en-Vélabre, qu’on n’ouvre qu’une fois dans l’année, est elle-même à l’intérieur humide et comme moisie. En dehors, tout a un