Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/751

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une langue harmonieuse des pensées que l’expérience justifie : il se prend à regretter les émotions qui donnent au poème de Marie tant d’attrait et de vie. La vérité, lors même qu’elle lui apparaît dans toute son évidence, ne suffit pas à le contenter, car cette vérité, malgré la mélodie des vers, l’instruit presque toujours sans le charmer.

Cependant je ne voudrais pas laisser croire que ces remarques s’appliquent avec une rigueur absolue à l’ensemble de la Fleur d’or. Pour atténuer la sévérité de mon jugement, ou plutôt pour lui restituer son vrai sens, il me suffira de nommer Jacques le Maçon et le Vieux Collège, et ces pièces ne sont pas les seules que je pourrais citer. Jacques le Maçon nous présente l’idéal du dévouement et de l’abnégation, et M. Brizeux a su tirer de cette mort héroïque un parti excellent. Il n’y a dans ce récit ni pompe ni artifice; tout est dit simplement, et toutes les paroles portent coup. Cet ouvrier jeune et vigoureux, qui voit le danger, qui pourrait sauver sa vie, et qui la sacrifie sans hésiter pour ne pas livrer au dénuement une veuve et des orphelins, a trouvé dans M. Brizeux un poète digne de le comprendre et de le chanter. Les âmes les plus engourdies ne peuvent se défendre d’un frisson d’épouvante, ni retenir un cri d’admiration en voyant ce héros, dont l’histoire ne sait pas le vrai nom, s’élancer au-devant de la mort pour assurer le pain d’une pauvre famille. Le Vieux Collège réalise sous une forme heureuse, et sans trop d’effort, l’alliance de la philosophie et de la poésie. Dans cette pièce, pleine à la fois d’onction et de sévérité, les faits et les pensées s’enchaînent si naturellement, que le lecteur n’a pas le temps d’apercevoir la leçon cachée sous le récit. La leçon est dans le récit même. Ce vieux collège de Flandre où le poète a passé ses premières années au milieu des jeux et de l’étude, habité maintenant par des vieillards fiévreux qui viennent s’asseoir sur ses bancs de pierre et réchauffer leurs membres tremblans aux rayons du soleil, par le assez haut pour que le poète n’ait pas besoin d’intervenir en son nom. Quelques traits lui suffisent pour mettre le lecteur au diapason de sa pensée. Les naïves espérances du premier âge, les épreuves de l’âge mûr, les souffrances de la vie à son déclin, se présentent aux esprits les plus frivoles, et lorsque le poète prend la peine de formuler la leçon contenue dans ce rapprochement douloureux, il trouve sa besogne à moitié faite. Il y a dans ce récit une page que je n’oublierai jamais, et qui exprime admirablement la souffrance résignée. Un vieillard perclus, cloué sur son grabat par la paralysie, regarde avec un œil plein d’espérance une vieille gravure enfumée, un martyr dont les plaies sont arrosées par le sang du Christ. Il se console en contemplant cette rosée miraculeuse, et oublie pour un instant que ses membres sont condamnés à l’immobilité. Toutes les paroles dont