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européenne à l’intérêt général, la loi du plus fort mise à la place du droit politique et du droit des nations, la coalition des plus puissans contre les plus faibles, voilà quels principes la Prusse reconnaissait et professait ouvertement pendant la période même qui fonda sa grandeur : c’étaient justement ceux qui allaient dicter le premier partage de la Pologne, et qui menaçaient déjà les pays du Nord d’un sort pareil à celui de ce malheureux peuple.

L’impératrice de Russie n’avait pas vu avec moins de ressentiment que Frédéric II ses projets déçus par la révolution de 1772, et elle avait cherché, de concert avec lui, comment elle pourrait profiter de la faiblesse du nouveau gouvernement avant qu’il se fût affermi. Cependant, à cette même époque, son extrême ambition l’avait engagée dans plusieurs entreprises qu’elle devait conduire à une heureuse issue avant de pouvoir diriger son attention vers la Suède. Le premier partage de la Pologne venait d’être décidé seulement le 5 août 1772; la guerre contre les Turcs lui donnait en même temps de sérieuses inquiétudes; à l’intérieur enfin, la révolte de Pugatchef menaçait de gagner jusqu’au centre de l’empire, et la peste, qui avait étendu ses ravages jusque dans Moscou, dont cent mille habitans avaient péri, répandait dans toute la Russie une inquiétude peu favorable à l’exécution de nouveaux desseins. D’ailleurs le cabinet de Saint-Pétersbourg connaissait la résolution hautement annoncée par la France de secourir la Suède envers et contre tous. Il savait que des armemens considérables avaient été faits à Brest et à Toulon, qu’une escadre française était prête à pénétrer dans la Baltique, et que des troupes de débarquement étaient déjà réunies en Flandre pour partir aux premiers ordres. La seule crainte qui arrêtât encore le cabinet de Versailles, c’était que l’Angleterre ne témoignât, à l’occasion de ces armemens, un mécontentement qui pût entraîner une rupture. Encore, malgré le désir extrême du roi d’éviter la guerre avec les Anglais, le duc d’Aiguillon se persuadait-il aisément qu’une attitude ferme et résolue de la France n’entraînerait pas une conséquence si fâcheuse. Le cabinet de Londres, de son côté, paraissait se rapprocher sensiblement de celui de Versailles et se disposer à laisser la France agir comme elle l’entendrait dans les intérêts du nord de l’Europe. En présence de tant de difficultés, Catherine ne pouvait pas songer à une guerre ouverte contre la Suède et sa puissante alliée; elle dut se résigner à voir se relever la puissance qu’elle avait ébranlée et cru renverser, et le roi de Prusse, qui n’était fort de ce côté que par son alliance avec la Russie, fut bien obligé d’accepter pour son compte la même résignation. Il satisfit du moins son dépit par la lettre suivante, que nous empruntons à la même source que les précédentes, et qui est tout aussi peu connue et plus curieuse