Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/781

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

encore. Furieux de ne pouvoir démembrer la Suède et prendre la Poméranie, et comme éclairé sur l’avenir par sa colère même, Frédéric II prédit vingt ans à l’avance une mort violente au jeune Gustave III pour le punir d’avoir trompé son ambition.


«23 janvier 1773.

« Monsieur mon frère,

«….. Je ne doute pas que votre majesté ait de bons alliés, mais je les trouve très éloignés de la Suède, et par conséquent peu en état de l’assister. Elle me dit qu’elle est satisfaite des témoignages d’amitié que lui ont donnés ses voisins; je me garderai bien de la troubler dans l’heureuse sécurité dont elle jouit, et, bien loin de me plaire à prophétiser des infortunes, j’aimerais mieux annoncer des prospérités. Cependant je déclare à votre majesté comme à tout son royaume que je ne me suis jamais cru prophète, ni voyant, ni inspiré; je ne sais que calculer l’avenir sur de certaines données qui peuvent quelquefois tromper par la vicissitude des événemens, et qui souvent répondent au pronostic qu’on en a porté. Je pourrais me servir de la réponse de ce devin qui avait pronostiqué des malheurs qui menaçaient César, ce grand homme, aux ides de mars. César lui dit en le rencontrant : — Eh bien ! ces ides de mars sont venues. — Le devin lui répondit : — Elles ne sont pas encore passées. — Votre majesté sait le reste; mais le cas n’est pas exactement pareil. La catastrophe de César n’est point à craindre pour votre majesté, et, si les présages de l’avenir lui font de la peine, je puis, comme un autre, couvrir de fleurs les précipices pour les cacher à ses yeux. Elle peut toutefois compter que s’il y a quelqu’un qui souhaite la soustraire aux hasards des événemens, c’est moi, et que si les choses tournent autrement, ce ne sera pas ma faute, étant avec toute la considération et toute l’amitié possible, monsieur mon frère, de votre majesté, le bon frère et oncle,

« FREDERIC. »


N’est-ce pas là une vraie malédiction en style de cour et de diplomatie ?

L’appui de la France sauva la Suède des représailles de la Prusse et de la Russie; il fit plus encore : les subsides continuels que Gustave III reçut par l’intercession toute dévouée du duc d’Aiguillon, et par celle du comte de Vergennes au commencement du règne de Louis XVI, mirent le jeune roi en état de quitter la défensive et de se rendre à son tour redoutable à ses dangereux voisins. On le vit, en même temps qu’il réparait ses finances, augmenter l’armée suédoise et fortifier cette flotte des côtes ou petite flotte (lilla flotta) , dont les chaloupes canonnières pénètrent facilement au milieu des innombrables écueils des bords de la Baltique, et qui est devenue le meilleur rempart de la Suède. Exalté par son succès même, Gustave voulut ajouter à l’ascendant nouveau de sa puissance les ressources de son esprit et de ses avantages personnels, dans lesquels il avait une