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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/831

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que la question des chemins de fer passa du domaine des expériences particulières dans celui des intérêts publics, dès qu’elle fut soumise à l’épreuve de la discussion parlementaire, une sorte d’indécision s’empara des esprits, indécision profitable à l’étude du problème, mais peu favorable à la prompte solution qu’il eût réclamée. Le gouvernement, de son côté, s’attachait trop longtemps à éclairer l’arène avant de s’y engager. Tantôt certains partis-pris et des méfiances opiniâtres sur l’avenir des voies ferrées, tantôt les alarmes conçues par des intérêts puissans et les prétentions rivales des localités, venaient se jeter en travers du mouvement. On s’avançait et on revenait sur ses pas; on visait à un système général, et on l’abandonnait quand on l’avait choisi. Au milieu de ces hésitations et de ces retours, au milieu d’expériences utiles et de déceptions cruelles, il s’opéra cependant un travail d’élaboration considérable. Les études topographiques furent entreprises sur la plus large échelle et conduites avec une remarquable habileté. Le jour se fit peu à peu sur toutes les faces du problème, et l’esprit public finit par s’ouvrir à l’intelligence d’une question d’abord mal posée et mal comprise.

Cette longue et laborieuse initiation forme l’intérêt réel et le caractère singulier de l’histoire des chemins de fer à l’époque et sur le théâtre où nous nous plaçons pour l’étudier, c’est-à-dire en France, sous le gouvernement de juillet. Il y a là un vivant ensemble qui peut fournir autant d’enseignemens solides que de curieux aspects. Si on n’avait pas examiné d’ailleurs les évolutions diverses qu’a parcourues la question des chemins de fer, telle que les chambres, l’administration et le pays eurent à la débattre de 1830 à 1848, il serait impossible d’apprécier l’impulsion donnée à ces entreprises soit en France soit dans le reste de l’Europe durant la période des grandes exploitations, et les changemens que peut réclamer dans le régime adopté chez nous l’intérêt de l’avenir.


I. — LA QUESTION DES CHEMINS DE FER EN 1837 ET EN 1838.

Au moment où le gouvernement de juillet commença à s’occuper des chemins de fer, il trouvait le champ libre de tout engagement systématique. Les lignes concédées sous la restauration avaient été attribuées, il est vrai, à des compagnies et sans aucune coopération de l’état; mais ce n’était là qu’un simple fait qui n’avait point été donné pour une règle, et qui ne gênait en rien les décisions du pouvoir nouveau. La restauration avait pris la question telle qu’elle s’était présentée, naissante, toute locale, enveloppée de ténèbres. Ce ne fut que deux ou trois ans après la révolution de juillet, quand les expériences accomplies en Angleterre et en Amérique eurent retenti dans le monde entier, qu’il devint nécessaire de s’interroger sur les applications plus générales dont ce nouveau moyen de communication pourrait être susceptible. Alors surgirent en foule des questions naguère imprévues, dont l’une domina bientôt chez nous toutes les autres; on se demanda par qui les chemins de fer seraient établis. Serait-ce par l’état ? Serait-ce par l’industrie privée ? Envisagée dans toutes ses généralités, la question se reproduisit par trois fois, en 1837, en 1838, en 1842, dans le champ-clos des débats parlementaires. Quoique roulant sur un même sujet, quoiqu’il s’agît toujours des