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tion. Ils ont le caractère précaire des pouvoirs sans homogénéité, et en compensation ils réunissent plus de forces et de talens, comme on l’a vu dans le dernier cabinet. Le ministère qui vient de se former ne modifie point cette situation. Ce qui en fait un ministère nouveau, c’est moins sa composition générale, qui est restée à peu près la même, que le changement de son chef, le remplacement de lord Aberdeen par lord Palmerston. Lord Clarendon garde le portefeuille des affaires étrangères ; M. Gladstone reste chancelier de l’échiquier ; sir James Graham n’a point quitté le poste de premier lord de l’amirauté ; M. Sidney Herbert passe du secrétariat de la guerre à l’intérieur. Le membre le plus réellement nouveau du cabinet est le ministre de la guerre, lord Panmure, autrefois M. Fox Maule, qui passe pour un homme d’expérience et d’une grande puissance de travail.

Dans son ensemble, le ministère anglais qui entre aujourd’hui au pouvoir a le double caractère d’être la combinaison la plus naturelle et la plus simple, et d’avoir été le fruit d’un très pénible enfantement, qui finissait même par indisposer l’opinion. Quelque prix que puissent avoir les usages constitutionnels, ils paraissaient cette fois n’être plus de saison. C’est par respect pour ces usages que la reine a chargé successivement de la formation d’un cabinet lord Derby et lord John Russell, le chef du parti tory et le chef du parti whig ; mais quelles chances pouvait avoir dans les circonstances actuelles une combinaison exclusive ? Lord Derby l’a si bien senti, qu’il est allé tout droit à lord Palmerston pour lui offrir le portefeuille de la guerre et la direction des débats dans la chambre des communes, en même temps qu’il consentait à s’entendre avec quelques membres de la fraction peelite, tels que M. Gladstone et M. Sidney Herbert. C’est la répugnance de ceux-ci qui paraît avoir fait échouer lord Derby. Quant à lord John Russell, il n’a pu se dissimuler dès le premier moment que, par l’étrangeté de sa conduite récente, il s’était mis dans une position à ne s’entendre avec personne, et dès lors se trouvait naturellement indiquée la combinaison qui a prévalu. Lord Palmerston est devenu l’homme nécessaire, l’âme de l’administration nouvelle. C’est moins un changement radical qu’une transformation de l’ancien cabinet, transformation à laquelle l’opinion attache un sens caractéristique : elle y voit le dénoûment d’antagonismes qui existaient jusque-là dans le gouvernement et paralysaient son action. Après avoir fait peser sur lord Aberdeen et sur le duc de Newcastle la responsabilité des cruels mécomptes de la campagne de Crimée, c’est à lord Palmerston qu’elle remet cette immense charge de réparer les désastres et de conduire la guerre à son but. On ne saurait le méconnaître, il y a dans toutes ces affaires militaires comme un cauchemar pour la fierté britannique. On s’est trouvé heureux d’avoir là un ministère à pulvériser comme le coupable universel ; il n’est point jusqu’au commandant de l’escadre de la Baltique, sir Charles Napier, qui n’ait attaqué avec la plus étrange violence l’ancien gouvernement dans un discours récent. Hélas ! voilà à quoi aboutissent parfois ces entreprises dont on attend trop ! Sir Charles Napier partait, il y a bientôt un an, pour la Baltique, et on ne craignait qu’une chose, c’est qu’il n’accomplît quelque acte extrême d’audace et de témérité. Il n’a pris, il est vrai, ni Cronstadt ni Svéaborg ; mais ce n’est pas un motif pour tout rejeter sur l’amirauté,