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moins encore pour publier son impuissance et la force de l’ennemi. Quoi qu’il en soit, la reconstitution du ministère anglais devient aujourd’hui un des élémens de la situation générale, de cette situation où tout est un symptôme, où toutes les politiques tendent à prendre un caractère plus tranché.

C’est l’honneur du Piémont de n’avoir pas attendu d’être sommé par les événemens pour manifester sa politique, et d’être intervenu à un moment où cette accession était un titre pour lui en même temps qu’un acte d’intelligente adhésion de son gouvernement. L’alliance avec l’Occident n’est plus aujourd’hui l’œuvre propre du cabinet de Turin seul, elle est l’œuvre du pays, l’œuvre du parlement, qui vient de la sanctionner de son vote à la suite d’une des plus brillantes discussions des chambres piémontaises. En dehors du résultat même, qui donne un caractère définitif à la politique nouvelle du Piémont, cette discussion a été instructive et curieuse à plus d’un point de vue : elle a laissé voir les pensées secrètes, les tendances des partis ; elle a montré où était le véritable instinct libéral, quels étranges auxiliaires pouvait trouver la Russie. En général, les observations du représentant principal du parti conservateur, de M. de Revel, ont moins porté sur le principe de l’alliance que sur les détails et sur les circonstances. Ainsi, aux yeux de M. de Revel, le jour où sont entrés au ministère des hommes tels que M. Ratazzi, qui a été l’un des promoteurs de la triste campagne de Novare, le Piémont a été exposé à ce que les puissances occidentales réclamassent comme une garantie une adhésion bonne en elle-même. En outre l’ancien ministre conservateur eût préféré à un emprunt un subside de l’Angleterre. Dans le fond, ce traité conclu par le cabinet, M. de Revel a dit qu’il n’eût point hésité à le signer plus tôt, s’il eût été au pouvoir.

Mais où l’alliance avec l’Angleterre et la France a-t-elle rencontré l’opposition la plus vive ? C’est dans le parti révolutionnaire. Il s’est trouvé une touchante unanimité parmi ces chauds partisans de la liberté et de la civilisation, sinon pour défendre la Russie, du moins pour soutenir une politique qui lui viendrait indirectement en aide. La pensée des révolutionnaires italiens, il est bien facile de la voir : ils ne veulent pas d’une alliance qui assure à leur pays des moyens réguliers d’influence, qui offre à ses forces un noble but, parce qu’ils veulent pour le Piémont une influence irrégulière, parce qu’ils veulent tenir ses forces disponibles pour révolutionner l’Italie. — À quoi bon, disent-ils, envoyer nos forces militaires en Crimée ? Leur destination, leur but véritable, c’est l’Italie. Que la guerre se poursuive, et le moment viendra où le drapeau de 1848 pourra se relever. — Voilà la pensée, voilà le plan ! Et comme le résultat de cette politique serait de neutraliser la défense de l’Europe en appelant une partie de ses forces, il s’ensuit que les révolutionnaires italiens, sous prétexte de ne point se trouver auprès de l’Autriche, peuvent passer pour les meilleurs auxiliaires de la Russie. Quelle raison sérieuse, quel intérêt pousse le Piémont à la guerre ? dit-on. Cela est bien clair. La première de toutes les raisons, c’est qu’une neutralité absolue, désarmée, est impossible dans la situation du Piémont, et qu’une neutralité armée est encore plus impossible par des motifs qu’il est facile d’apercevoir, justement par ces motifs qu’invoquent les partis révolutionnaires. La raison de son intervention, le Piémont la trouve dans son histoire, dans ses traditions, dans sa formation même, qui est le produit de ses coopérations à toute