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I. – PREMIERES ANNEES.

Je suis né vers la fin du dernier siècle, dans un village du New-Hampshire, et je suis fier du lieu de ma naissance et de mon titre de Yankee. Mon père était un solide fermier qui avait vaillamment combattu pendant la guerre de la révolution, et avait été honoré de la confiance de Washington, sous lequel il servait en qualité de colonel ; ma mère était la fille d’un cultivateur de la Nouvelle-Angleterre : ainsi je puis dire que je suis de bonne souche démocratique et républicaine. Je suis né au moment où la liberté naissait également, et j’ai été, comme tous mes frères et sœurs, bercé aux sons des chants de triomphe qui saluèrent la déclaration d’indépendance.

Mon père éleva tous ses enfans dans la profession qu’il exerçait lui-même, et je fus d’abord destiné aux travaux de la campagne ; mais ma mère avait pour moi un penchant particulier, qui provenait sans doute de ma faiblesse physique et de ma tendance prononcée à l’étude et au travail intellectuel. L’excellente femme pensait que je ferais un pauvre fermier, et que je serais beaucoup mieux sous la robe du clergyman. On soir, je surpris la conversation suivante entre mon père et ma mère, qui d’habitude causaient ensemble au coin du feu lorsque les enfans étaient couchés et endormis.

— Ruben, disait ma mère, avez-vous arrêté un parti sur le sujet dont nous causions hier au soir ? James a maintenant onze ans ; il n’est pas aussi fort que ses frères ; il aime singulièrement ses livres ; il ferait, je crois, un bon ministre. Si nous allions voir demain M. Pearson ? qu’en dites-vous, Ruben ? l’argent de ma dernière vente de beurre paierait les frais d’école de toute l’année.

— J’y ai pensé, Sally, répondit mon père d’une voix solennelle. Je connais le prix d’une bonne éducation, et je voudrais bien élever un de mes enfans à une plus haute position que la mienne ; mais je crois qu’Isaac, notre quatrième fils, serait plus apte à briller dans le monde que James, qui a toujours été un enfant chétif comparativement à ses frères. Mon désir eût été de faire un scholar de Joël, notre fils aîné ; nous n’avons pu le faire lorsqu’il en était temps : il est maintenant trop tard, et d’ailleurs il devra de plus en plus tenir ma place dans la conduite de la ferme. Cependant, Sally, ma chère, si nous voulons que James fasse son chemin dans le monde, il faut en faire un avocat et non pas un ministre.

— J’aimerais mieux le voir ministre, Ruben. Je serais fière d’avoir un fils dans la chaire. Si vous préférez cependant qu’il soit avocat, faites comme vous l’entendrez. Pensez-y, Ruben, James est un enfant délicat, et qui n’a pas pour le travail de la ferme l’ardeur de ses