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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/94

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frères. Je suis fière de votre fils favori Isaac autant qu’une mère peut être fière de son enfant ; mais j’ai observé leurs dispositions, et je crois qu’Isaac s’acquittera beaucoup mieux de sa besogne de fermier que de toute autre, tandis que James n’est heureux qu’on compagnie de ses livres.

— C’est bien, répondit mon père. Peut-être avez-vous raison, Sally. Eh bien ! j’irai voir demain M. Pearson.

Je n’avais pas perdu un mot de toute cette conversation ; mais j’étais loin d’être d’accord avec mon père et ma mère quant au choix de ma future profession. J’avais toujours eu le secret désir d’être un jour médecin, et jamais je n’étais plus heureux que lorsque je pouvais tout à mon aise dévorer le contenu mystérieux de quelques vieux livres de médecine dont j’avais fait ma propriété. Je restai éveillé presque toute la nuit, et lorsque sur le matin je m’endormis, je rêvai que j’étais docteur, que tout le village était malade, que je soignais nos voisins, que seul j’avais la puissance de les guérir, et autres sottises du même genre.

Le lendemain je vis M. Pearson entrer à la ferme avec mon père, et je fus appelé en présence du vénérable clergyman. — James, mon cher enfant, me dit mon père, une triste expérience m’a enseigné l’avantage qu’on retire d’une meilleure éducation que celle que j’ai reçue. Vos frères sont maintenant assez grands pour m’aider à conduire la ferme ; j’ai donc résolu de vous envoyer au collège, où vous étudierez pour devenir avocat, peut-être même quelque jour homme d’état, qui sait ? Vous irez dès demain à Concord à l’école de M. Longworth, où vous vous préparerez pour les études du collège.

— Mais je ne veux pas être avocat, père, répondis-je.

— Comment ! fit brusquement mon père, qui fut interrompu par ma mère, laquelle, croyant aller au-devant de mes pensées, dit : — Je le savais bien, vous préférez devenir un clergyman comme M. Pearson, n’est-il pas vrai, mon chéri ?

— Non, je ne veux pas être clergyman, je veux être médecin, dis-je en fondant en larmes.

M. Pearson s’efforça de me calmer, puis il chuchotta quelques mots à l’oreille de ma mère, qui mentionna mon goût pour les livres de médecine et de chirurgie. Mon père, en apprenant ce fait, répondit qu’il n’entrait pas dans son système de forcer la vocation des enfans, et qu’il abandonnait l’idée de faire de moi un avocat ; ma mère renonça également à me voir clergyman. Comme je n’ai aucunement l’intention d’ennuyer le lecteur de détails oiseux, je lui dirai seulement qu’après avoir fait toutes mes études universitaires et pris tous mes grades, je fus reçu docteur-médecin à l’âge de dix-neuf ans.