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l’Angleterre ne fut pas même ingrate. Il avait le cœur bien anglais ; il avait servi son pays avec dévouement et montré les qualités d’un homme né pour commander. Tant de désintéressement uni à tant d’ambition, tant d’habileté au milieu de tant de fautes, sa modération personnelle dans la pratique d’un système absolu et d’une politique extrême, le faisaient considérer comme un homme d’état de premier ordre. Nul d’ailleurs ne savait mieux ménager sa position, conduire son parti, diriger une assemblée. Rien ne coûtait à cet homme d’une vie simple et d’un caractère sans tache pour gagner ou satisfaire jusqu’aux vils intérêts qui se cachent au sein des majorités de gouvernement. Le préjugé patriotique et le préjugé contre-révolutionnaire donnaient aux classes de la société qui l’avaient soutenu tous les caractères d’un parti. On avait porté dans la guerre encore plus de passion que de calcul. On ne voulait point que le chef qu’on avait suivi eût tort, ne voulant point avoir eu tort soi-même, et l’orgueil du pays se portait solidaire du sien. Jamais surtout on n’eût consenti, par l’abandon du passé, à donner raison à cette opposition bruyante, offensante, qui d’ailleurs, avec une vue plus juste des choses prises dans leur généralité, s’était sans cesse trompée dans le détail et compromise par une impuissante agitation. L’Angleterre, après tout, n’avait rien perdu à la guerre. Seule peut-être en Europe, après la France, elle en sortait plus grande. Son empire de l’Inde était complété et assuré. Elle avait conquis assez de colonies pour garder les plus précieuses en lâchant celles qui devaient être la rançon de la paix. Son commerce maritime s’était développé à l’exclusion de celui de toutes les autres nations, et comme à l’époque de la guerre de la succession, les opérations financières avaient imprimé aux affaires intérieures un mouvement singulier, qui augmentait en réalité, et encore plus en apparence, la richesse nationale. Bien donc que la paix fût désirée par l’opinion, bien qu’elle fût accueillie par des démonstrations inusitées de la joie populaire, à tel point que les gens de Londres traînèrent jusqu’au Foreign-Office la voiture de l’aide-de-camp du premier consul qui apportait la ratification des préliminaires, il eût été impossible de faire regarder au parlement et au public ce moment comme une occasion de condamner la politique des dix-sept dernières années et de proclamer un changement de système. Fox du moins ne l’essaya pas. Son ambition était visiblement amortie ; ses convictions étaient aussi fortes son ardeur moindre que par le passé. Ses facultés et ses talens étaient les mêmes, mais l’âge et l’expérience, les variations de ses ennemis, l’indocilité des partis, tant de mécomptes et d’échecs lorsqu’il n’avait pas un doute sur la vérité de ses principes et la loyauté de ses intentions, enfin un goût excessif peut-être, si en ce genre l’excès est possible, pour l’étude et la retraite,